L'ouvre-boîte

Production

Texte Victor Lanoux
Mise en scène Denis Plante Jr., Bernard Dagenais
Aide à la mise en scène  Nathalie Lebescond
Conception éclairage et son Stéphane Godin, Bernard Dagenais, Denis Plante Jr
Technicien à l'éclairage et au son Stéphane Godin
Conception du décor Erik Beauchesne
Décors Erik Beauchesne, Bernard Dagenais, Stéphane Godin, Denis Plante Jr.
Aide technique Mélanie St-Pierre

Comédiens

Jacques Denis Plante Jr
Jean Bernard Dagenais

Extrait

Jean :  Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs.  Le spectacle que nous allons avoir la joie et l’honneur…

Jacques :  Et l’avantage.

Jean :  Et l’avantage…

Jacques :  Et le plaisir.

Jean :  Et le plaisir…

Jacques :  Et la satisfaction.

Jean :  Et la satisfaction…

Jacques :  Et le privilège.

Jean :  Bon, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs. Le spectacle que nous allons avoir l’honneur et le plaisir et le… heu…

Jacques :  et l’audace, disons, hein ?

Jean :  Et l’avantage et la satisfaction et le plaisir et la joie et le privilège et l’audace d’interpréter devant vous, ce soir, est essentiellement à portée philosophique.  Il n’a absolument aucun but commercial, et , malgré les apparences souvent trompeuses, aucune vocation publicitaire.  Il n’a pas été financé, comme d’aucun pourraient le supposer, par quelques fabricant de conserves, ‘’Habitant’’ ou autre.  Non.   ‘’Habitant’’ n’est pour rien dans cette entreprise!  Pourquoi ?  Mais, tout simplement parce que ‘’Habitant’’, la soupe au pois de nos grands-mères, n’a pas besoin de ce genre de publicité pour scintiller comme elle scintille au firmament de l’univers des conserveries québécoises…  ‘’Habitant’’, étoile du berger des consommateurs, n’a pas besoin, pour resplendir chaque soir, de la pénombre artificielle des salles de théâtre.  Non!  ‘’Habitant’’  est toujours présent, telle la flamme de vie, flamme génératrice, veilleuse de notre chauffe-eau intérieur, Non.  ‘’Habitant’’ n’a pas besoin du théâtre pour exister.

Jacques :  J’me rappelle pus combien t’en as dit là.

Jean :  Je ne sais pas, moi, sept, je crois…

Jacques :  Sept ?  Ah, bon.  C’tait juste pour te chècker.

Jean :  Mais si ‘’Habitant’’, la soupe aux pois de nos grands-mères…

Jacques :  Huit!

Jean :  si ‘’Habitant’’ la soupe aux pois de nos grands-mères…

Jacques :  Neuf!

Jean :  n’a pas besoin du théâtre pour exister, le théâtre, malheureusement, ne peut pas en dire autant.

Jacques :  Non, çartain!

Jean :  C’est pourquoi cette généreuse entreprise a décidé de venir en aide aux pauvres artistes que nous sommes…

Jacques :  Quelle généreuse entreprise ?

Jean :  Mais… ‘’Habitant’’, la soupe au pois de nos grands-mères.

Jacques :  Marci : c’parc’que j’avais hâte de finir la douzaine.

Jean :  Oui… cette généreuse entreprise donc, pour venir en aide aux pauvres artistes que nous sommes, a consenti à nous allouer une prime de un dollar, chaque fois que nous prononcerons son nom dans notre spectacle.

Jacques :  C’est fin pareil, hein ?

Jean :  Oui; moi je trouve ça assez sympathique.  Bien sûr, si nous avons accepté cette substantielle aide matérielle, ce n’est pas de gaieté de cœur; ni parce que nos qualités gustatives nous entraînent irrémédiablement vers la soupe aux pois ‘’Habitant’’…

Jacques :  Non, çartain.  Quatorze.

Jean :  Non, onze!

Jacques :  Comment onze ?

Jean :  Tu en étais à dix.  Tu ne peux pas sauter à quatorze, comme ça!

Jacques :  Arrête donc!  On a dit ‘’Habitant’’ rien qu’onze fois.

Jean :  Oui, nous avons prononcé le mot ‘’Habitant’’ que onze fois.

Jacques :  Ah oui ?  P’têt ben.  P’têt qu’t’as raison.  P’têt qu’on avait dit ‘’Habitant’’ rien qu’onze fois, Bon; mais là, avec les trois que j’viens d’dire, ça fait quatorze.

Jean :  Non, ce n’est pas de gaieté de cœur.  C’est tout simplement parce que c’est cette maison qui nous a proposé l’plus.  Et s’il se trouve, dans la salle, un fabricant qui serait disposé à offrir d’avantage, la compétition est ouverte.  De toute façon, ‘’Habitant’’ ou pas ‘’Habitant’’, maintenant, place au théâtre.  Seize, marque!

 

 

Jean :  À toi; mise.

Jacques :  C’est moé qui commence ?

Jean :  Oui.  C’est moi qui donne, c’est toi qui mises!

Jacques  prenant une boîte de conserve à côté de lui et la pose sur la table :  O.K. Une!

Jean prenant deux boîtes et les posant près de l’autre :  Une de plus!

Jacques prenant deux boîtes :Une de plus que la tienne de plus.

Jean :  Tu ne peux pas; tu as vu tes cartes ?

Jacques :  Oh!  Excusez-moi!  Pardon!  Il repose ses deux boîtes près de lui

Jean :  Mais non, laisses-en une!

Jacques :  Pourquoi ?

Jean :  Tu en as misé une, j’en ai misé une de plus.  Donc, tu dois en remettre une autre, de façon que l’on en ait mis deux chacun.  Tu comprends ?

Jacques :  Ah!  O.K.  Parfa… Il repose une boîte

Jean :  Combien ?

Jacques :  Hein ??  Deux chacun.

Jean :  Combien de cartes ?

Jacques :  Ah oui!!! Heu… Ça s’ra pas long.  Heu… Heu… T’ois cartes.  Non, non, attends!  Quat’

Jean :  Quatre, c’est ton dernier chiffre!

Jacques :  Oui.  Non, non; attends… Wow, wow; attends.  J’parl’rai pas tu’suite, parc’que… Chus un peu mélangé là… qu’est cé qui a après dix, valet, dame, roi, as ?

Jean :  Pourquoi ?  Tu as ça ?

Jacques :  Moi ?  Non, non… J’disais ça d’même.  Supposons qu’un gars aurait ça ?

Jean :  Il a le full.

Jacques :  Qué cé ça ?

Jean :  Le full, c’est trois cartes pareilles et deux cartes pareilles.

Jacques :  Ah oui… cinq cartes pareilles ?...

Jean :  Voilà…

Jacques :  Cinq as, cinq rois.  Des affaires comme ça ?... Voyons donc!  Y a pas cinq cartes pareilles.

Jean :  Hé non!... il n’y a pas cinq cartes pareilles.

Jacques :  Ouais; mais tu viens d’dire…

Jean :  Non, c’est toi qui as dit.  Moi, je t’ai dit trois cartes pareilles et deux cartes pareilles; c’est-à-dire; trois valets et deux neuf ou trois neuf et deux valets, etc.

Jacques :  D’abord, trois rois pis deux dames , c’est plus fort ?

Jean :  C’est plus fort!  Il n’y a pas de doute!

Jacques :  Parfa!  Quat’ cartes!

Jean :  Moi, j’en prends deux.

Jacques :  Hé, cimonaque de cimonaque!  Si j’l’aurais su!...

Jean :  À toi d’ouvrir, j’ai misé le dernier.

Jacques :  Heu… heu… moé, d’abord, j’vas gager… un!

Jean :  Un quoi ?

Jacques :  Un bol de soupe aux pois ‘’Habitant’’

Jean :  Non, ça ne compte pas. On a dit minimum une boîte!

Jacques :  Ah!  Excuse-moi d’abord!  Il va rayer sa barre

Jean :  Mais non.  Le bâton,  tu le laisses et  tu mets une boîte.

Jacques :  Ouais!  Mais c’est parc’que j’veux pas gager une boîte.

Jean :  Bon.  Alors tu te couches.

Jacques :  J’veux pas me coucher non plus, là!

Jean :  Alors tu mises.

Jacques :  Mais pas une boîte!

Jean :  Alors, tu te couches.

Jacques regardant son lit : Non.  Va-t’en avec ça.  J’veux pas m’coucher.  Chus pas fatigué.  J’veux jouer aux cartes.

Jean :  Mais non, crétin!  Pas comme ça!... Tu te couches, c’est-à-dire; tu baisses tes cartes; tu abandonnes, si tu préfères!

Jacques :  Ah!  Excuse… J’pensais qu’tu voulais dire… O.K.  Je me couche.

Jean :  Voilà, j’ai gagné.

Jacques :  Attends!  Ça c’est mes boîtes!  Donne-moé mes boîtes!

Jean :  Ce ne sont plus tes boîtes; j’ai gagné!

Jacques :  Comment ça, t’as gagné ?

Jean :  J’ai gagné, puisque tu t’es couché!

Jacques :  Ah ben!  Est bonne celle là!!! C’est toé qui m’l’a dit!!!

Jean :  Je te l’ai dit, parce que tu ne voulais plus suivre!

Jacques :  Pis ça prouve pas qu’t’as gagné!

Jean :  Oui.

Jacques :  Qu’est-ce que t’avais, toé ?

Jean :  Ah ça!  Mon vieux, tu n’as pas à le savoir.

Jacques :  Ah ben!  C’est trop facile!!!

Jean :  C’est le jeu.

Jacques :  Chus pas d’accord pantoute avec c’jeu-là!  C’est ben trop facile.  Voyons donc!  T’as rien qu’à dire à l’aut’ de s’coucher, c’est toé qui gagnes.  N’importe qui peut jouer d’même.  Excusez-moi, M’sieu, voulez-tu jouer avec moé ?  Couchez-vous donc.  Vous êtes couché là ?  Parfa!  J’ai gagné.  Ça c’t’un beau jeu!

Jean :  Bon.  Alors reprends tes cartes!  Et si tu veux jouer, ouvre.  C’est-à-dire; mets une boîte.

Jacques :  Çartain que j’ma jouer!  Il mets une boîte

Jean  rajoutant deux boîtes :  Plus une!

Jacques rajoutant une boîte :  Plus une, moé-même.

Jean :  Ta boîte, plus trois.

Jacques :  Tes trois plus quatre!

Jean :  Tes quatre, plus ton tapis !

Jacques :  Non, non!  Pas l’tapis; on a dit qu’on joue juss les boîtes!!!

Jean :  Mais non!  Ton tapis, ça veut dire ce qu’il te reste.

Jacques :  Ah, ah!  O.k. d’abord.  J’savais pas ça que ‘’ce qu’il te reste’’, en français, c’est ‘’son tapis’’.  C’est mieux d’rester ça, que rien pantoute.  Hei!  J’pense qu’c’est la plus grosse game qu’on a jamais jouée.