Les aventures de l'inspecteur Hector

Production

Texte Patrick Senécal
Mise en scène Bernard Dagenais
Directeur de production Stéphane Godin et Bernard Dagenais
Conception des éclairages Bernard Dagenais et Benoit Godin
Conception sonore Bernard Dagenais
Montage des éclairages Benoit Godin
Aide au montage Stéphane Godin, Bernard Dagenais, Daniel Trudel
Régie de plateau Daniel Trudel
Costumes Maude Letendre
Accessoires Membres de la troupe
Accueil Pierre Charron
Manipulation du son et des éclairages Constantin Hudon

Comédiens

Duchesse Ethel Sèche Maude Letendre
La Bonne Ninon Virginie Duluth-Trudel
Inspecteur Hector Alain Lafontaine
Marquis Ricki Kirlick Benoit Godin
Le Serviteur Bernard Dagenais
L’Emissaire Marie-Claude Magny
La Voix François Tremblay

Extrait

1  Narrateur :  Cette journée ne sera pas comme les autres.  Cette journée sera a marquer d’une pierre blanche.  Cette journée se terminera dans le sang, l’horreur et vers neuf heures.  Mais personne ne s’en doute encore.  Personne.  Ni même la duchesse Ethel Sèche qui attend avec impatience ses invités pour le dîner.  Mais se doute-t-elle que le meurtre y est aussi convié?  Tremblez, duchesse!  Tremblez!  Tremblez, pauvres mortels!  Tremblez!  Trem… oups  (bruit de fracas et silence).

 

2  Duchesse :  Ah, mon Dieu, mon Dieu!  J’espère que tout est prêt!  Aurais-je oublié quelque chose?  La table est prête, oui… Le divan est propre…  Ma robe est parfaite…  L ‘arbre est dans ses feuilles…  Mhhh… Ninon!  (tape dans ses mains)  Ninon!  Ninon!

 

3  Ninon :  Vous… vous… vous m’avez appel… appel… appelé, du… du… duchesse?

 

4  Duchesse :  Oui, Ninon… Les invités vont arriver dans quelques secondes, qu’est-ce que vous nous avez préparé de bon pour le dîner?

 

5  Ninon :  Hé bi… bi… bien, comme ent… entr… entrée, nous aurons des a… a… a…

 

6  Duchesse :  Ananas?

 

7  Ninon :  A…

 

8  Duchesse :  Harricots?

 

9  Ninon :  A…

 

10  Duchesse :  Amandes?

 

11  Ninon :  A…

 

12  Duchesse :  Bon, ça va, Ninon, nous verrons bien ce que c’est quand nous mangerons… Et le premier plat, ce sera quoi?

 

13  Ninon :  Comme prem… premier plat… ce sera des a… a… a…

 

14  Duchesse :  Harengs?

 

15  Ninon :  A… a…

 

16  Duchesse :  Asperges?

 

17  Ninon :  A…

 

18  Duchesse :  Ca ira, Ninon, je suis sûr que ce sera très bon aussi… Et le dessert?

 

19  Ninon :  Alors là, ma… ma… madame, vous allez être ra… ravie… Je vous ai prépa… paré des a… a…

 

20  Duchesse :  Savez-vous Ninon, je crois que le mieux est de nous faire la surprise!  Je vous fait confiance.

 

21  Ninon :  Merci, ma… ma… madame…  Vous êtes a… a…

 

22  Duchesse  :  ( en soupirant) Admirable?

 

23  Ninon :  A…

 

24  Duchesse :  Adorable?

 

25  Ninon :  Appuyée sur mon pi… pied.

 

26  Duchesse :  Ho!  Je suis désolée…

 

(on sonne)

 

27  Duchesse :  Mon Dieu, le premier invité qui arrive!  Ninon, allez ouvrir!

 

28  Ninon :  A… a…

 

29  Duchesse :  A la porte!

 

30  Ninon :  A…

 

31  Duchesse :  Avec joie!

 

32  Ninon :  A…

 

33  Duchesse :  A l’instant, Ninon!

 

34  Ninon :  Ah bon. (elle sort)

 

35  Narrateur :  Ah, pauvre Duchesse!  En recevant vos invités, vous ne vous doutez point que c’est peut-être la mort que vous faîtes entrer chez vous!  Tremblez, duchesse!  Tremblez!  Tremblez, mortels!  Tremblez!  Trem… woooooh!  (bruit de quelqu’un qui tombe dans l’eau)

 

 

 

(Ninon entre) 

 

36  Ninon :   L’inspecteur Hec… Hec… Hector duch… duchesse.

 

(Inspecteur entre)

 

37  Inspecteur :  Bonsoir, duchesse!  J’espère que je ne suis pas en retard?

 

38  Duchesse :  Inspecteur!  Je suis si heureuse que vous ayez accepté mon invitation.

 

39  Inspecteur :  Tout le plaisir est pour vous.

 

40  Duchesse :  Oh, il y en a tout de même aussi pour vous!

 

41  Inspecteur :  Si peu, je vous assure.

 

42  Duchesse :  Petit coquin!  Je vous en prie, venez vous asseoir au salon….

 

43  Inspecteur :  Je suis le premier…

 

44  Duchesse :   Des dizaine de gens…

 

45  Inspecteur :  Non, je veux dire je suis le premier arrivé.

 

46  Duchesse :  Ah.  Hé, bien oui, vous êtes le premier.  Mais de toute façon, le choix était limité, vous ne pouviez être que le premier ou le deuxième.

 

47  Inspecteur :  Pourquoi donc?

 

48  Duchesse :  Ah!  C’est une énigme, inspecteur!  Vous êtes un policier, je vous mets à l’épreuve…

 

49  Inspecteur :  Ah, une énigme!  Amusant, très amusant!  Ah, ah… Je passe mes journées à travailler, à découvrir des mystères, à réfléchir comme un fou, et le soir, lors d’un dîner tranquille, loin de tous soucis, alors que je m’attends à avoir la paix, on me pose une énigme compliquée, ah, ah, oui, pourquoi pas?… Bon, donc une énigme… Hmmm… Je ne peux être que le premier ou le deuxième… Pourquoi?…  Hmmm… Allez Hector… Vas-y, fais ton numéro, joue encore aux flics, laisse faire le repos, vas-y, travaille… ah, ah…

 

50  Duchesse :  Ecoutez, on peut laisser tomber, si vous vou…

 

51  Inspecteur :  (plus rapide) Non, non!  Vous avez voulu me poser une énigme, hein!  Vous voulez absolument jouer à l’enfant?  Hé bien, trop tard!  Je vais vous la résoudre, votre petite énigme!…  Alors, voyons… Je ne peux être que le premier ou le deuxième… Hmmm… Parce que le troisième est toujours très en retard?

 

52  Duchesse :  Non!

 

53  Inspecteur :  Parce que le troisième est mort?

 

54  Duchesse :  Heu… non…

 

55  Inspecteur :  Hmmm… Parce que le troisième vaut mieux que deux tu l’auras?

 

56  Duchesse :  Heu… mais non…

 

57  Inspecteur :  Hmmm… Je ne vois pas.

 

58  Duchesse :  Mais… parce qu’il n’y a que deux invités inspecteur, voilà tout.

 

59  Inspecteur :  Parce qu’il n’y a que deux invités…

 

60  Duchesse :   Mais oui.  Donc, vous ne pouvez être que le premier ou le second…

 

61  Inspecteur :  Mouais… Peut-être… C’est une hypothèse…

 

62  Duchesse :  Mais inspecteur, ce n’est pas une hypothèse, c’est le simple bon se…

 

63  Inspecteur :  Laissez-moi une semaine, duchesse, et je vous fournirai une enquête approfondie là-dessus, d’accord?

 

64  Duchesse :  Heu… si vous voulez…

 

65  Inspecteur :  Parfait… L’affaire sera classée dans deux mois et je vous apporte mon rapport au printemps.   Bon!  Donc, vous n’attendez que deux invités?  Qui est le second, si je peux me permettre cette question?

 

66  Duchesse :  Il s’agit du marquis Ricki Kirlick.  Il vient dîner avec nous et bien sûr, il compte sur nous pour dîner avec lui.

 

67  Inspecteur :  Le marquis Ricki Kirlick, oui, oui… C’est un poète très connu et très controversé, vous le saviez?

 

68  Duchesse :  Non, mais on me l’avait dit.

 

69  Inspecteur :  Oui, il écrit des poèmes très controversés.  Entre autre, il a lu, l’autre jour, sur la place public, un poème particulièrement controversé qui traite des mœurs sexuels des albinos en période électorale.  Cela avait fait beaucoup de controverse.  J’ajouterai que c’est un artiste controversé.

 

70  Duchesse :  Ah, vraiment?  Vous le connaissez bien?

 

71  Inspecteur :  Non, c’est faux.

 

 

(Ninon entre)

 

 

72  Ninon :  Le mar… mar… marquis Ricki Kir… Kir… Kirlick est arrivé, duch… duchesse…

 

73  Duchesse :  Ah, parfait!  Faites le entrer, Ninon…  Vous n’avez jamais rencontré le marquis, si j’ai bien compris…

 

74  Inspecteur :  Moi, non.  Mais lui m’a déjà parlé, parait-il…  Cette affirmation est d’ailleurs très controversée, dans le milieu… Ce n’est pas étonnant de la part d’un homme controversé.

 

75  Duchesse :  Vous allez voir, il est très sympathique.  Et gentil.  Et charmant.  Et sympathique.  Et gentil.  Et charmant.  Et sympathique.  Et gentil.  Et…

 

 

(Marquis entre)

 

 

76  Marquis :  Duchesse Chèsse!

 

77  Duchesse :  Sèche.

 

78  Inspecteur :  Marquis Qui!

 

79  Marquis :  Kirlick.

 

80  Duchesse :  Inspector Hecteur.

 

81  Inspecteur :  Hector.

 

82  Marquis :  Inspecteur.

 

83  Inspecteur :  Marquis.

 

84  Marquis :  Duchesse.

 

85  Duchesse :  Ricky.

 

86  Marquis :  Ethel.

 

87  Inspecteur :  Hector.

 

88  Duchesse :  Vous.

 

89  Inspecteur :  Toi.

 

90  Marquis :  Moi.

 

91  Tous :  Nous!

 

92  Duchesse :  Ah, je vous en prie, messieurs, assoyez-vous.

 

93  Marquis :  Je suis le deuxième, à ce que je vois.

 

94  Duchesse :  Oui, vous êtes le deuxième invité.

 

95  Marquis :  Non, je voulais dire le deuxième à m’asseoir dans ce fauteuil.  Il m’a l’air assez neuf.

 

96  Inspecteur :  Vous êtes le deuxième invité, Marquis, et moi le second.  D’ailleurs, vous ne pouviez être que le premier ou le deuxième invité.  Vous savez pourquoi?

 

97  Marquis :  Parce que nous sommes que deux invités, je suppose?

 

98  Inspecteur :  Non!  Parce qu’il n’y en aura pas de troisième.

 

99  Marquis :  Ça revient au même.

 

100  Inspecteur :  Pas du tout!  Il peut y en avoir un quatrième sans troisième!

 

101  Marquis :  C’est absurde!  Il faut un troisième pour qu’il y ait un quatrième.

 

102  Inspecteur :  C’est ce qu’on nous a toujours enseigné, mais à tort!  On voulait nous cacher la vérité!

 

103  Marquis :  Vous allez bien inspecteur?

 

104  Duchesse :  Allons, messieurs, c’est là votre première rencontre, ne la gâchez pas.

 

105  Inspecteur :  Elle a raison.  Faisons donc connaissance comme des gens civilisés.  J’ai entendu dire que vous étiez un parasite, marquis.

 

106  Marquis :   Plait-il?

 

107  Inspecteur :  Je veux dire un poète.  Un poète qui, en plus, écrit des poèmes qui font grogner le peuple.  J’ai raison, ou on ne m’a pas menti?

 

108  Marquis :  Hé bien…

 

109  Duchesse :  L’inspecteur n’est pas tout à fait d’accord avec ce genre d’écrits.

 

110  Marquis :  Ah, vraiment inspecteur?

 

111  Inspecteur :  Vos sources sont bonnes, marquis.

 

112  Marquis :  Qu’avez-vous contre la poésie, inspecteur?

 

113  Inspecteur :  Je la trouve controversée, surtout la vôtre.  Vous êtes un homme controversé, marquis, et en tant que policier, je me méfie de tout ce qui suscite la controverse, surtout de la poésie qui est un domaine facilement controversable.

 

114  Marquis :  Vous permettez qu’à vos accusations, je lance une contre-attaque?

 

115  Inspecteur :  Si vous voulez, mais cela serait une faible contre-façon.

 

116  Marquis :  En tout cas, tout cela démontre à quel point vous êtes à contre-courant!

 

117  Inspecteur :  Peut-être, mais sachez que c’est vraiment à contre-cœur!

 

118  Marquis :  Vous me prenez à contre-pied!

 

119  Inspecteur :  Je m’en contre-fiche!

 

120  Marquis :  Vous osez me contrecarer?

 

121  Inspecteur :  Sans contre-dit!

 

122  Marquis :  Quand j’étais plus jeune, j’étais contre-bassiste.

 

123  Inspecteur :  Avant de quitter le travail, il faut toujours aviser le contremaître.

 

124  Marquis :  Il est illégal d’acheter des cigarettes de contrebande.

 

125  Inspecteur :  Au cinéma, il existe la technique du champ et du contre-champ.

 

126  Marquis :  Heu… le… Hmmm… Les… Heu… J’ai assisté l ‘autre jour… une, heu… une convention!

 

127  Duchesse :  Malheureusement, marquis, je ne peux accepter votre dernier mot, puisque « convention » ne commence pas par contre.  Le point va donc à l’inspecteur Hector.

 

128  Marquis :  Bien, bien… De toute façon, vous n’êtes qu’un policier, inspecteur, non pas un intellectuel.

 

129  Inspecteur :  J’ai toujours trouvé que les intellectuels aussi étaient des êtres controversés.

 

130  Marquis :  Ah, bon?  Et pourquoi donc?

 

131  Inspecteur :  Pour des raisons personnelles.

 

132  Marquis :  Je plains votre femme, inspecteur, de vivre avec un homme si peu poétique.

 

133  Inspecteur :  Je n’ai pas de femme!  Du moins… plus maintenant…

 

134  Marquis :  Plus maintenant?

 

135  Duchesse :  Allons, messieurs, un peu de calme, voyons… Ne suscitons pas de dispute… Surtout pas en ce moment, alors que je me sens si tendue…

 

136  Inspecteur :  Vous me semblez bien nerveuse, duchesse…

 

137  Duchesse :  Hé bien, c’est-à-dire que…

 

138  Marquis :  Vous me semblez bien nerveuse, duchesse…

 

139  Duchesse :  Hé bien, c’est-à-dire que…

 

140  Inspecteur et Marquis :  Vous nous semblez bien nerveuse, duchesse…

 

141  Duchesse :  Bon, d’accord… Je serai franche.  Si je vous ai invité inspecteur, c’est pour une raison particulière… J’ai reçu cette lettre qui dit ceci :  « Faites attention, duchesse.  La mort, ce soir, frappera chez vous.  Tremblez, duchesse, tremblez… »  Et ce n’est pas signé.  Inquiétant, non?

 

142  Marquis :  Quel hasard.  J’ai moi-même reçu cet après-midi cette lettre que je vous lis de ma voix de ténor : « Ce soir, marquis, en votre lieu de rendez-vous, la mort frappera tel un hibou.  Hou, hou, hou… Tremblez, pauvre fou… »  Etrange, nou?

 

143  Inspecteur :  Ça alors!  J’ai moi-même reçu cette lettre cet après-midi que je vous lis à l’instant :  « Salut Hector.  On passe de belles vacances.  Soleil splendide.  On t’embrasse.  Gilles Tremblay pis les enfants ».

 

144  Duchesse :  Mon Dieu, inspecteur, qui a bien pu envoyer ces lettres de menaces?

 

145  Inspecteur :  Mmmm…  Certainement quelqu’un qui vous veut du mal… Dites-moi, est-ce que l’un d’entre vous connaît personnellement Paul Newman?

 

146  Duchesse :  Heu… non.

 

147  Marquis :  Moi non plus, non…

 

148  Inspecteur :  Parfait, un suspect de moins…  Maintenant, est-ce que l’un de vous deux connaît personnellement Borris Yeltsine?

 

149  Marquis :  Ecoutez, inspecteur, ne perdez pas ainsi votre temps :  je peux vous dire que je ne connais absolument personne qui me veut du mal!  De même que je ne connais personne qui me veut du bien!  En fait, je ne connais que des gens qui me veulent rien du tout.

 

150  Duchesse :  La même chose pour moi, inspecteur.  Je ne connais que des amis.  Quant à ceux que je ne connais pas, j’ignore s’ils sont mes amis.  Eux aussi, d’ailleurs, ce qui simplifie les choses.

 

151  Inspecteur :  Allons, duchesse… Avec la fortune colossale que vous possédez, il y a sûrement quelqu’un qui veut votre mort… Si vous mourriez, par exemple, qui hériterait de votre fortune?

 

152  Duchesse :  Heu…

 

153  Inspecteur :  Ah, ah?  Et qui est ce heu?  Un parent?   

 

154  Duchesse :  Non… « heu », ici est une interjection qui signifie l’hésitation, le malaise, l’incertitude…

 

155  Inspecteur :  Ah, je vois… Donc, qui hériterait de votre fortune?

 

156  Duchesse :  Hmmm…

 

157  Inspecteur :  Une autre interjection, je suppose?

 

158  Duchesse :  Non, mon oncle Hmmm hériterait de moi.  Albert Hmmm.  C’est un vieux veuf véreux.  Ou un vieux véreux veuf.  Il vivote avec sa vache Vivianne, il vouvoie ses voisins vivaces, et quand il vole vers la ville, il va vite en criant « Vavoum! »

 

159  Inspecteur :  Ah, ah…

 

160  Duchesse :  Mais mon argent ne l’intéresse pas.  Tout ce qu’il veut, ce sont mes biens matériels qui commencent par la lettre v :  mon vélo, mon veston, ma voiture, mon velcro, mon vlimeux de chien…

 

161  Inspecteur :  Je vois :  Un excentrique… Non, ce n’est sûrement pas lui… Mais alors, qui hériterait de votre argent?

 

162  Duchesse ?  Hmmm…

 

163  Inspecteur :  Mais vous venez de me dire qu’il ne veut pas votre argent?

 

164  Duchesse :  Non, cette fois, c’est bien une interjection d’hésitation… C’est que je ne peux pas répondre à cela inspecteur, c’est trop personnel…

 

165  Inspecteur :  Mais duchesse, réfléchissez!  Vous aurez reçu une lettre de menace, anonyme!  Il y a fort à parier qu’elle provient de celui qui touchera votre fortune!

 

166  Duchesse :  Je n’ose le croire…

 

167  Inspecteur :  Allons, duchesse, dites-le moi, il y va de votre sécurité…

 

168  Duchesse :  Hé bien, c’est… c’est Ninon…

 

169  Inspecteur :  Ninon?

 

170  Duchesse :  Oui, c’est ma bonne… Si je meurs, elle aura mon argent… C’est une tradition depuis des générations, que je le veuille ou non…

 

171  Inspecteur :  La bonne… Mais oui, bien sûr…

 

172  Duchesse :  Inspecteur, vous n’allez pas accuser ma pauvre Ninon de m’avoir envoyé cette lettre!

 

173  Marquis :  Elle a raison, c’est absurde!  Je connais cette fille et elle est douce comme de la douceur!  Et puis, moi aussi j’ai reçu une lettre de menace, ne l’oubliez pas!  Pourquoi Ninon, voudrait-elle me tuer, moi?

 

174  Inspecteur :  C’est pourtant simple.  Pour se couvrir.

 

175  Marquis :  Se couvrir?  Je ne comprends pas.

 

176  Inspecteur :  Mais si.  Si on l’accuse du meurtre de la duchesse, elle pourra dire que c’est faux, puisque c’est vous qu’elle a tué.  Elle sera donc innocenter du meurtre de sa maîtresse.

 

177  Marquis :  Mais c’est absurde!

 

178  Inspecteur :  Mais combien diabolique!  Duchesse, faites venir la bonne Ninon.

 

179  Duchesse :  Ho, inspecteur, vous allez lui faire peur!

 

180  Inspecteur :  Mais non, je suis habitué à ce genre de choses.  Je serai diplomate.  Elle ne se rendra même pas compte que je l’interroge.

 

 

(la duchesse sonne la cloche)

 

 

181  Ninon :  Ma… ma… madame m’appe… pelé?

 

182  Duchesse :  C’est l’inspecteur qui voudrait vous parler, Ninon.

 

183  Inspecteur :  Oui… Bonsoir, Ninon… Dîtes-moi, ma chère, lorsque vous êtes en congé, est-ce que vous sortez de la maison pour aller en ville, cueillir des fleurs, aller au cinéma?

 

184  Ninon :  N… n… non… Je reste tou… toujours ici…

 

185  Inspecteur :  Parfait, comme ça, dix ans de prison, ça devrait pas trop vous déranger dans vos habitudes…

 

186  Duchesse :  Inspecteur!  Vous m’aviez promis!

 

187  Inspecteur :  Vous avez raison, pardonnez-moi… Hmmm… Dîtes-moi, Ninon, si la duchesse meurt, est-ce que vous savez ce qui va se passer?

 

188  Ninon :  On… on… on va l’enterrer et on… on va la…

 

189  Inspecteur :  Non, je veux dire, ce qui va arriver à vous.

 

190  Ninon :  Je vais être très a… a… a…

 

191  Inspecteur :  Alarmée?

 

192  Ninon :  A…

 

193  Duchesse :  Amère?

 

194  Ninon :  A…

 

195  Marquis :  Haltérophile?

 

196  Ninon :  Abasourdie de douleur.

 

197  Inspecteur :  Ecoutez, Ninon, pour simplifier les choses un peu, ne faites que répondre par oui ou non, d’accord?  Bon.  Est-ce que, parfois, Ninon, vous souhaitez, pour des raisons diverses, voir votre maîtresse manger les pissenlits par la racine?

 

198  Duchesse :  Inspecteur!

 

199  Inspecteur :  Laissez-moi faire, duchesse.  Répondez à la question par oui ou non, Ninon.

 

200  Ninon :  O… o…

 

201  Inspecteur :  Oui?

 

202  Ninon :  O… o…

 

203  Inspecteur :  C’est ça :  oui?

 

204  Ninon :  O… o… Ohhh non!

 

205  Inspecteur :  Bon.  Ecoutez, Ninon, ne dites plus un mot et mimez seulement vos réponses.  Si vous voulez répondre « oui », levez votre main bien haut.  Si vous voulez répondre « non », levez votre main juste un petit peu.  Bon.  Vous arrive-t-il de souhaiter la mort de votre patronne?

 

 

(Ninon lève la main à la hauteur de sa tête)

 

 

206  Inspecteur :  Ah! Ah!  Elle a dit oui!

 

207  Duchesse :  Mais jamais de la vie, voyons, elle n’a pas levé la main haut du tout!

 

208  Inspecteur :  Bien sûr, qu’elle l’a levée haut!

 

209  Duchesse :  Vous appelez ça haut!  Si elle avait voulu dire « oui », elle aurait levé la main comme ça!  (elle lève sa main par-dessus la tête).

 

210  Inspecteur :  Mais si elle avait voulu dire « non », elle l’aurait levée comme ça (il l’a lève à peine jusqu’au épaules)  N’est-ce pas Ninon? (Elle relève la main jusqu’à la tête)  Vous voyez?  Elle est d’accord!

 

211  Duchesse :  Mais non, elle n’est pas d’accord!  Elle vient de vous dire non!

 

212  Inspecteur :  Mais enfin, duchesse, ouvrez les yeux!  Ninon, vous venez de dire « oui », oui ou non?  (Ninon relève la main à la tête)

 

213  Inspecteur et Duchesse :  Ah!  Vous voyez!

 

214  Marquis :  Mais enfin, arrêtez ce cirque et posons-lui la question autrement, c’est tout!  Laissez-moi faire (lentement)  Ninon, lorsque vous levez la main ainsi, comme vous le faites, pour vous, vous la levez haut.  Oui ou non?  (Ninon relève la main à la tête)  Oui, mais pour vous ça, Ninon, c’est haut?  (Ninon relève la main à la tête)  C’est bas?  (Même jeu)

 

215  Inspecteur :  Peut-être qu’elle ne peut pas la lever plus haut :  C’est ça, Ninon?

(Même jeu)

 

216  Duchesse :  Ninon, est-ce que vous vous foutez de notre gueule?  (Même jeu)

Ouf, ça me rassure…

 

 

217  Inspecteur :  Mais enfin, duchesse, vous ne savez pas faire la différence entre ce qui est haut et ce qui est bas, ma parole!  Regardez!  Ma main est haute (il la lève).  Elle est haute.  Maintenant, ma main est basse (se penche et la met au niveau des pieds)  Elle est basse (prend un verre et le lève)  Mon verre est haut.  Il est haut.  It’s high (il baisse le verre)  Mon verre est bas.  Il est bas.  It’s low.  (Il met le verre à terre)  Je suis plus haut que le verre.  I am higher than the glass (il met le verre sur le sofa et s’accroupit).  Maintenant, je suis plus bas que le verre.  I am lower than the glass.  (De son manteau, il sort un oiseau en peluche et le fait voler au-dessus de lui)  Ho, ho, l’oiseau vole haut dans le ciel!  It is high!  (il sort un soldat en plastic de son manteau)  Ho, ho!  Le chasseur en bas vise l’oiseau.  He is low.

 

218  Duchesse :  Inspecteur, tout cela ne sert à rien puisqu’il s’agit toujours de différents point de vue!  Vous trouvez que votre oiseau, quand il vole, est haut!  Soit!  Mais par rapport à cette avion (elle sort un avion en jouet et le tient plus haut qu l’oiseau), il est plus bas!  L’oiseau est plus haut que le chasseur, mais plus bas que l’avion!  It is higher than the hunter, but lower than the plane!

 

219  Tous :  It is higher than the hunter, but lower than the plane.

 

220  Ninon :  th… th… than the plane.

 

221  Inspecteur :  Marquis, qu’en pensez-vous?

 

222  Marquis :  Je crois que tout cela est inutile.  It’s a waste of time.

 

223  Inspecteur :  Bon, tant pis!  Ecoutez, Ninon, nous… heu… nous reprendrons cet interrogatoire plus tard.   Retournez à votre cuisine!

 

224  Ninon :  Tr… très bien, insp… pec… pecteur.  A… A… A…

 

225  Inspecteur :  A tantôt?

 

226  Ninon :  A…

 

227  Duchesse :  A plus tard?

 

228  Ninon :   A…

 

229  Marquis :  Alain Delon?

 

230  Ninon :  Atchoum.  (elle sort)

 

231  Duchesse :  Franchement, inspecteur, je ne peux pas vous féliciter… Je suis sûr qu’elle se doute de quelque chose.

 

 

232  Inspecteur :  Evidemment, qu’elle a des doutes!  Comme tout le monde!  Vous n’avez de doutes sur rien, vous, duchesse?  Vous ne doutez pas de vous, parfois, de la vie même?  De Dieu!  Êtes-vous sûre de ce qui vous arrivera, après votre mort?  Êtes-vous sûre de la direction que prend notre monde, de plus en plus fou?  (lui montre son manteau)  Êtes-vous sûre que c’est du vrai cuir?  Hein?

 

233  Duchesse :  Je ne parle pas de ce genre de doutes, que j’entretiens évidemment comme  tout le monde.  Je veux dire qu’elle se doutera sûrement que vous l’accusez de quelque chose.  Et puis, inspecteur, si Ninon voulait me tuer, pourquoi prendrait-elle la peine de m’en avertir en m’envoyant une lettre anonyme?  C’est absurde!

 

234  Inspecteur :  Parce que lorsque ça fait vingt ans qu’on est servante, il y a des habitudes dont on ne peut plus se débarasser, comme la politesse, par exemple!

 

235  Marquis :  Et à moi, inspecteur!  Elle m’aurait envoyé une lettre aussi?

 

236  Inspecteur :  Hé bien, oui, je vous l’ai dit tout à l’heure!

 

237  Marquis :  Ah, oui, ce fameux alibi ridicule!  Avouez que votre hypothèse ne tient pas debout, inspecteur, et qu’aucune de vos accusations grotesques ne pourraient lui servir de béquille!

 

238  Inspecteur :  Je vois.  Encore de la poésie controversée!  Vous me faites penser à ma…

 

239  Marquis :  A qui, inspecteur?  A qui?

 

240  Inspecteur :  Non… non, rien… A personne.

 

241  Duchesse :  Allons, inspecteur, oublions tout cela, voulez-vous?  Après tout, peut-être qu’il ne s’agit que d’une simple plaisanterie de mauvais goût!  Permettez-moi plutôt, de vous servir à boire!

 

242  Inspecteur :  Soit…  Je veux bien laisser au vestiaire mes instincts de policier et enfiler à la place le commode et inconscient costume de la banalité civile… Vous voyez, marquis?  Moi aussi, je peux parler en parachute!

 

243  Marquis :  En paraboles.

 

244  Inspecteur :  En parachute aussi!

 

245  Duchesse :  Scotch?  (silence)  Scotch?  (silence)  Scotch!

 

 

(Un serviteur apparait)

 

 

246  Serviteur :  Oui, madame?

 

247  Duchesse :  Ah, finalement!  Scotch, ayez l’obligeance d’ajouter à la liste d’épicerie de demain trois bouteilles de rhum.  Il ne nous en reste plus.

 

248  Scotch :  Bien madame.  (il sort)

 

249  Duchesse :  Bien.  Alors, messieurs, qu’est-ce que je vous sers?

 

250  Inspecteur :  Sans glace.

 

251  Marquis :  Même chose pour moi.

 

252  Duchesse :  Alors, nous buvons à quoi?

 

253  Marquis :  A go?

 

254  Duchesse :  Parfait, à go!  Un, deux, trois, go!

 

 

(Ils prennent une gorgée)

 

 

255  Marquis :  Délicieux… L’alcool a toujours éveillé mes instincts artistiques.

 

256  Inspecteur :  Hé bien, vous pouvez leur dire d’aller se recoucher…

 

257  Duchesse :  Au contraire, au contraire!  Marquis, vous allez nous faire le plaisir de nous réciter l’un de vos poèmes!

 

258  Marquis :  Ho, mon Dieu, je ne sais pas si je devrais, je…

 

259  Duchesse :  Mais si, mais si!

 

260  Marquis :  Je ne sais pas…

 

261  Duchesse :  Mais si, mais si!

 

262  Marquis :  C’est à dire que…

 

263  Duchesse :  Mais si, mais si!

 

264  Marquis :  Ma foi, je ne sais que dire…

 

265  Duchesse :  Hey!

 

266  Marquis :  Eh bien, soit… Je vous réciterai mon tout dernier poème… Si l’inspecteur n’y voit pas d’inconvénient, bien sûr…

 

267  Inspecteur :  Vous voulez la réponse d’usage, artificielle et hypocrite, ou une réponse honnête, franche et adulte?

 

268  Marquis :  Je vais prendre l’hypocrite.

 

269  Inspecteur :  Je vous en prie, je n’y vois aucun inconvénient.

 

270  Marquis :  Hmmm… Plus hypocrite, encore…?

 

271  Inspecteur :  Marquis, cela serait un immense plaisir pour moi…

 

272  Marquis :  Hmmmmm…

 

273  Inspecteur :  Marquis, à la seule pensée d’entendre vos inspirations divines, mes oreilles s’envole d’allégresse en laissant derrière elles une musique céleste.

 

274  Marquis :  Hé bien, soit, je veux bien!  Voici donc mon dernier poème qui s’intitule : « Si je pouvais bleu ciel ».

 

275  Inspecteur :  Si vous pouviez bleu ciel?

 

276  Duchesse :  Mais son, s’il pouvait bleu ciel?

 

277  Marquis :  Pas du tout, si je pouvais bleu ciel, si je pouvais!

 

278  Inspecteur :  Il y a une virgule après « si je pouvais »?

 

279  Marquis :  Non, un trëma.

 

280  Inspecteur :  Si je pouvais trëma bleu ciel?

 

281  Duchesse :  Inspecteur, laissez-le réciter son poème!

 

282  Marquis :  Mais oui!  La poésie n’a que faire de la syntaxe et de la grammaire conventionnelle!

 

283  Inspecteur :  C’est ce que je constate, cédille ouvrez les guillemets.

 

284  Duchesse :  Inspecteur!

 

285  Marquis :  Bon.  Donc voici « Si je pouvais bleu ciel »  

Ah, que je me sens vert pomme!  

Pourquoi es-tu tu es partie es tu es?

Le désespoir qui me jaune moutarde!

Quand tu reviendras, je te rose alambiqué!

Je t’ai oublié lorsque brun immaculé!

Sombre-je dans le je néant dans je sombre néant-je

Ah si je pouvais bleu ciel…

 

286  Duchesse :  Ah, marquis, cela allait… allait… de soi!  Quel lyrisme!  N’est-ce pas inspecteur?

 

287  Inspecteur :  Ah oui, sans l’ombre d’un doute.  On sent que cela venait des tripes jaune citronné.

 

288  Marquis :  Oui, j’avoue que sur le moment, l’emploi excessif des couleurs peut étonner, mais… quand on comprend le pourquoi de la chose, avouez que cela prend un tout autre sens!

 

289  Inspecteur :  Une toute autre couleur, aussi…

 

290  Marquis :  Vous, vous moquez, n’est-ce pas, inspecteur?

 

291  Inspecteur :  Disons que, au risque de me répéter, tout cela sens la controverse.

 

292  Marquis :  Vous êtes rempli de préjugés, inspecteur, comme tous ceux qui ne comprennent rien à l’art.

 

293  Inspecteur :  Je n’ai aucun préjugé.  Je trouve seulement que l’art est un excellent alibi pour un paresseux qui veut vivre au crochet de la société, ce n’est pas pareil.

 

294  Duchesse :  Allons, inspecteur, la poésie est quelque chose d’essentielle!  J’en suis une fanatique moi-même.

 

295  Marquis :   Justement, duchesse, je me suis laissé dire que vous même, vous vous addoniez à la poésie…

 

296  Duchesse :  Ho, mon Dieu, ce n’est qu’un passe-temps que je ne pratique que lorsque je n’ai rien à faire…

 

297  Marquis :  Justement, votre production doit être énorme!  Vous accepterez bien de nous livrer l’une de vos perles!

 

298  Duchesse :  Ho, non!  Surtout pas devant vous, un si grand artiste!  Je serais trop gênée!

 

299  Marquis :  Au contraire, je me ferai un plaisir de vous donner mon opinion qui, au fond, vaut bien celle d’un génie… Je vous en prie, duchesse…

 

300  Duchesse :  Ho, Seigneur, je me sens rougir!  Inspecteur, cela ne vous dérange pas?

 

301   Inspecteur :  Non, c’est une couleur qui vous va assez bien.

 

302  Duchesse :  Non, je veux dire, ça ne vous dérange pas que je récite un de mes poèmes?

 

303  Inspecteur :  Duchesse, ma réponse est tout aussi hypocrite que tout à l’heure, je vous assure!

 

304  Duchesse :  Hé bien, dans ces conditions… Cela s’intitule « Le petit oiseau cui-cui »

 

305  Marquis :  Charmant.

 

306  Duchesse :  Ho, ho, mais que vois-je là sur mon terrain

Un oiseau à l’aile brisée, pauvre petit

Je le prends aussitôt dans ma petite main

Je vais m’occuper de toi, cui cui

Mais voilà que je l’échappe soudainement

Devant mon chien Rex qui lui arrache une aile

Puis, mon chat Pouffi lui crève le flanc

Faisant jaillir ses tripes pêle-mêle

Le voilà qui tombe dans le broyeur du lavabo

Maculant l’évier d’un liquide jaune gluant

Et le rouleau compresseur qui lui passe sur le dos

Fait gicler sa cervelle dans une explosion de sang

Mais voilà que passe la charrue avec sa gratte

 

307  Marquis (qui la coupe) :  Bravo, bravo duchesse!  C’était très… très… très très personnel!

 

308  Duchesse :  C’est que je n’ai pas fini…

 

309  Marquis :  Ne nous dîtes pas tout d’un coup, voyons!  N’est-ce pas inspecteur!

 

310  Inspecteur :  Tout à fait!  Gardez le reste pour la prochaine fois!

 

311 Duchesse :  Ah, vous donnez encore votre réponse hypocrite, n’est-ce pas inspecteur?

 

312  Inspecteur :  Non, cette fois, je vous jure que c’est la sincère.

 

313  Marquis :  Ah, la poésie!  Rien de tel pour éloigner les mauvaises pensées et pour oublier ces lettres de menaces…

 

314  Duchesse :  Ah, mon Dieu!  J’avais oublié ces lettres, mais vous venez de me les rappeler…

 

315  Inspecteur :  Bravo, marquis!  Pour la poésie, ça peut aller, mais pour la diplomatie, on a vu mieux…

 

316  Marquis :  Ecoutez, je suis désolé, duchesse, je ne voulais pas…  (Ninon entre)

 

317  Ninon :  Le dî… dî… dîner est prêt…

 

318  Duchesse :  Ah, enfin!  Un bon repas va nous changer les idées!

 

319  Inspecteur :  Voilà qui est bien dit!

 

320  Ninon :  Comme ent… ent… entrée, nous aurons des a… a… a…

 

 

(Black, On entend les voix dans le noir)

 

 

321  Duchesse :  Allons, bon!  Une panne de courant!  Quelle gigne!  

 

 

(bruit de coup, de vitre, puis un hurlement retentit)

 

 

322  Inspecteur :  Vous avez entendu, duchesse?  On aurait dit quelque chose…

 

 

(La lumière revient; Ninon a un couteau planté dans le dos, mais personne ne s’en rend compte, elle reste debout, vacillante)

 

323  Duchesse :  Ah, tout de même… Alors cette entrée Ninon?

 

324  Ninon :  A… a… a…

 

325  Duchesse :  Amandes?

 

326  Ninon :  A…

 

327  Inspecteur :  Ananas?

 

328  Ninon :  A…

 

329  Marquis :  Hamac.  (Ninon s’écroule)  Ho.  Elle a un couteau dans le dos.

 

330  Inspecteur :  Dites-moi, duchesse, lorsque vous avez engagé Ninon, elle avait déjà ce couteau à cet endroit?

 

331  Duchesse :  Non… Je ne crois pas… Du moins, je ne l’ai jamais remarqué…

 

332  Marquis :  Mais vous ne comprenez pas, très chère !  Elle est peut-être morte.

 

333  Inspecteur :  Ho, ho, marquis!  Vous semblez très au courant…

 

334  Marquis :  Hé, bien, c’est à dire que…

 

335  Duchesse :  Ninon morte!  Est-ce possible!

 

336  Inspecteur :  Du calme, une vérification s’impose…  (examine le cadavre)  Hum, hum… hum, hum…  (examine toujours)  Hum, hum… hmmm… hmmm…  (fredonne une chanson, les autres aussi, Ninon aussi, pendant quelques secondes lorsque l’inspecteur ramène à l’ordre)  Du calme… Je crois qu’elle ne respire plus…  Duchesse, vous avez un petit miroir?  (Ninon se regarde dedans…)  Elle est morte.

 

337  Narrateur :  Ah! Ciel!  Le drame tant redouté à éclaté!  Ninon poignardée, morte!  Un cadavre sur le tapis!  Voilà donc la mort qui s’installe dans cette soirée désormais maudite!  Tremblez, pauvres mortels!  Tremblez!  Tremblez pauvres inconscients!  Tremblez, Trem… (coup de feu)

 

338  Duchesse :  Morte!  Ho, mon Dieu, mon Dieu, mais qui l’a tuée!

 

339  Inspecteur :  Celui qui lui a planté ce couteau dans le dos.

 

340  Marquis :  Vous sautez vite aux conclusions, inspecteur… Peut-être est-elle morte avant de se faire poignarder…

 

341  Inspecteur :  Cela m’étonnerait beaucoup, marquis.  J’ai bien entendu, dans le noir :  cela a fait « poc, ahhhh », ce qui prouve qu’elle a été poignardé, puis elle est morte en criant.

 

342  Marquis :  Désolé de vous contredire, mais moi, je crois bien qu’elle est morte, et qu’on l’a poignardé ensuite, car, contrairement à vous, j’ai entendu :  « ahhhh, poc ».

 

343  Inspecteur :  Non.  Poc, ahhhh.

 

344  Marquis :  Non.  Haaaa. Poc.

 

345  Duchesse :  Moi, je crois qu’on l’a poignardé en même temps qu’elle est morte, car j’ai entendu « Pac, hoooooo ».

 

346  Marquis :  De toute façon, il faut absolument appeler la police!

 

347  Duchesse :  Vous avez raison, j’y vais!

 

348  Inspecteur :  Pas si vite, duchesse…

 

349  Duchesse :  Quoi… quoi donc?

 

350  Inspecteur :  Pas si vite, le plancher est glissant, vous pourriez tomber…

 

351  Duchesse :  Vous avez raison, merci…

 

352  Inspecteur :  Pas si vite, duchesse…

 

353  Duchesse :  Enfin, inspecteur, je marche normalement, vous exagérez un…

 

354  Inspecteur :  Je veux dire :  restez ici… Inutile d’appeler la police… Je suis là, moi…

 

355  Duchesse :  Mais c’est vrai!  Inspecteur, je vous soumets l’enquête!

 

356  Marquis :  Cela ne me semble pas très correct…

 

357  Inspecteur :  Ah, vraiment marquis?  Et pourquoi donc?

 

358  Marquis :  Vous êtes un suspect, au même titre que nous…

 

359  Duchesse :  Marquis, vous osez accuser l’inspecteur!

 

360  Inspecteur :  Laissez, duchesse, allons…

 

361  Marquis :  Je dis seulement que vous aviez l’occasion de tuer Ninon tout autant que la duchesse ou moi-même.  Pour quelqu’un qui n’aime pas la controverse, vos méthodes me semblent quelque peu équivoques…

 

362  Inspecteur :  Je vois.  Vous proposez quoi, alors?

 

363  Marquis :  D’appeler la police.  Celle-ci mènera une enquête neutre, objective, impartiale, juste, apparament semblable aux autres, mais reconstruire de toute pièce par les miracles de la technolo…

 

364  Inspecteur :  Soit.  J’accepte.

 

365  Duchesse :  Ho, mon Dieu, quelle insulte pour vous, inspecteur!

 

366  Inspecteur :  Mais non, duchesse, pas du tout, je comprends très bien le marquis.  Seulement, qu’il ne se surprenne pas si, dans les prochains mois, un nombre élevé de contraventions lui tombe dessus, ou que même certaines personnes de son entourage disparaissent subitement sans laisser de traces, ou que sa voiture se retrouve dans son salon…

 

367  Marquis :  Je ne serai pas surpris le moins du monde…

 

368  Inspecteur :  Très bien, alors.  Duchesse, allez appeler la police.

 

369  Duchesse :  D’accord, mais sachez que je l’appelle à contre-cœur!

 

370  Inspecteur :  Non, appelez-la plutôt à St-Ambroise, c’est plus près…  (la duchesse sort)  Vous ne m’aimez pas, n’est-ce pas, marquis?

 

371  Marquis :  C’est plutôt moi qui ai l’impression que vous ne m’aimez pas…

 

372  Inspecteur :  C’est l’artiste en vous que je n’aime pas marquis… Et plus encore, c’est le poète dans cet artiste que je n’aime pas… Et pire encore, la controverse qui est dans ce poète.  Et plus pire encore, le mal qui est dans cette controverse.  Vous êtes une poupée Russe pour moi, marquis.

 

373  Marquis :  Mais pourquoi, inspecteur!  Pourquoi cette peur de la poésie, pourquoi?

 

374  Inspecteur :  Elle me rappelle trop ma… Ho, laissez tomber.

 

375  Marquis :  Qui?  Votre ex femme?  C’est ça?  C’est elle?  Allons, expliquez-vous une fois pour toutes!

 

376  Inspecteur :  Je vous interdit de me parler de mon ex femme, vous m’entendez?  Si vous me parlez encore d’elle une seule fois, moi je dis à tous le monde à quel point vous êtes raciste, surtout avec votre ami de couleur noir!

 

377  Marquis :  Mais je n’ai aucun ami de couleur noir!

 

378  Inspecteur :  Ah!  Vous voyez!  (duchesse revient)

 

379  Duchesse :  Voilà.  Ils disent qu’ils devraient être ici dans des délais forts approximatifs.  En attendant, si vous le permettez, je veux poursuivre mon poème!

 

380  Marquis :  Heu…

 

381  Inspecteur :  Heu, je propose autre chose, duchesse : est-ce que vous permettez que je fasse ma propre petite enquête?

 

382  Duchesse :  Je vous en prie, inspecteur, bien sûr!

 

383  Inspecteur :  Marquis?

 

384  Marquis :  En attendant que la police arrive, pourquoi pas?  Nous n’avons rien à perdre…

 

385  Inspecteur :  Très bien… De toute évidence, les lettres de menaces que vous avez reçues n’étaient que pour détourner l’attention de la vraie victime, soit Ninon.  Donc, l’assassin a écrit ces lettres pour détourner les soupçons… Duchesse, puis-je voir la lettre que vous avez reçue?

 

386  Duchesse :  Voilà, inspecteur…  (Elle lui donne la lettre)

 

387  Inspecteur :  Merci… Marquis, je peux avoir votre lettre.

 

388  Marquis :  Inspecteur, je ne ferai absolument rien sans un avocat.

 

389  Duchesse :  Mais j’y pense!  Mon serviteur, Scotch, a d’abord débuté sa carrière comme avocat!

 

390  Inspecteur :  Et il est devenu serviteur?

 

391  Duchesse :  C’est un garçon fort doué, vous savez, il a monté les échelons très vite.

 

392  Inspecteur :  En effet… Alors, marquis, ce Scotch vous irait comme avocat?

 

393  Marquis :  Tout à fait…

 

394  Inspecteur :  Parfait.  Faîtes le venir, duchesse.

 

395  Duchesse :  Scotch!  (Scotch entre)

 

396  Scotch :  Madame?

 

397  Duchesse :  Scotch, il y a eu un meurtre.  Ninon a été poignardée.  Le marquis ici présent, qui est l’un des suspects, exige un avocat.  Vous acceptez de l’assister.

 

398  Scotch :  Avec plaisir, madame.

 

399  Duchesse :  Très bien.

 

400  Marquis :  Enchanté, Scotch.

 

401  Scotch :  Enchanté aussi.  J’ai ici votre dossier.  Sale affaire, marquis.  Ça va être dur.  Je prends donc soixante dollars de l’heure, trois heures pour le prix de deux, tous les mardi.

 

402  Marquis :  Ça me va.

 

403  Inspecteur :  Bon, je peux procéder?  Alors, marquis, acceptez-vous de me prêter la lettre de menace que vous avez reçue?

 

404  Scotch :  Ne répondez pas à cette question.

 

405  Inspecteur :  Mais enfin, je lui demande seulement de me dire s’il accepte ou non!

 

406  Scotch :  Demandez-lui de poser la question autrement.

 

407  Marquis :  Pourriez-vous me poser la question autrement, s’il vous plaît?

 

408  Inspecteur :  Marquis, afin d’apporter un élément corrolatif à cette affaire judiciaire, pourriez-vous apporter à la couronne la pièce A, pièce qui, en l’occurrence, déterminera si la cause est juridiquement défendable ou, au contraire, non-avenue et, donc, rejetée?

 

409  Marquis :  D’accord.  (Il donne la lettre)

 

410  Inspecteur :  Hmmmm, hmmmm…  C’est ce que je croyais… Même écriture… Duchesse, j’aimerais que vous preniez une feuille de papier et que vous écriviez quelque chose.

 

411  Duchesse :  Avec plaisir, inspecteur…   Heu… J’écris quoi?

 

412  Inspecteur :  N’importe quoi.  Ce que vous voulez.

 

413  Duchesse :  La suite de mon poème?

 

414  Inspecteur :  Quand je dis n’importe quoi, ne me prenez pas au pied de la lettre!  Je sais :  faîtes comme si vous écriviez votre journal personnel.

 

415  Duchesse :  Oui, bonne idée!  « Cher journal, ce matin, j’ai préparé la maison pour le dîner de ce soir.  Je reçois l’inspecteur Hector qui, encore une fois, ne comprendra rien à la poésie, lui qui est dénué de toute sensibilité, ainsi que le marquis, qui va encore nous faire chier avec ses grands airs d ‘artiste.  J’espère qu’ils ne mangeront pas trop malproprement comme ils le font d’habitude.  Je t’en reparle demain, cher journal… Duchesse Ethel Sèche ».  Voilà.  C’est assez long?

 

416  Inspecteur :  C’est juste assez long, merci.  (il prend son papier et le compare avec les deux lettres de menace)  Mouais… L’écriture me semble assez différente… Par exemple, duchesse, au lieu d’écrire la lettre « a », vous écrivez toujours la lettre « o », ce qui donne un curieux résultat.

 

417  Duchesse :  Oui, je sais, c’est un problème que j’ai depuis ma petite enfance…

 

418  Inspecteur :  Et au lieu d’écrire la lettre « o », vous écrivez la lettre « u »…

 

419  Duchesse :  Oui, je sais, mes professeurs trouvaient cela fort contrariant…

 

420  Inspecteur :  Et à chaque quatre lettres, pour une raison qui m’échappe, vous inscrivez la lettre y…

 

421  Duchesse :  Ah, ah, oui, je sais, c’est parfois un peu embarassant…

 

422  Inspecteur :  De plus, détail cocasse, vous écrivez tous vos mots en sens inverse, en commençant par la dernière lettre et en finissant par la première…

 

423  Duchesse :  Ah, oui, c’est vrai, je me rappelle qu’on me l’a reproché à l’occasion…

 

424  Inspecteur :  Et finalement, particularité farfelue mais combien charmante, vous remplacez toutes vos consonnes par la lettre i.

 

425  Duchesse :  Oui, oui, cela peut engendrer une légère confusion quand on me lit…

 

426  Inspecteur :  Donc, si je lis ce que vous avez écrit, cela donne :  « Oiiiii, iiioyiiii yiiiiuiii iuoiu uuiiuyiiii yooiiuuoiii iii iyii uoi io iii oyiii i.

 

427  Duchesse :  Oui, j’avoue que mes écrits ne sont pas toujours limpides…

 

428  Inspecteur :  Bon…  De toute évidence, duchesse, vous n’avez pas écrit ces lettres de menaces.  Marquis, j’aimerais que vous écriviez quelques phrases sur une feuille de papier à votre tour.

 

429  Scotch :  Vous n’êtes pas obligé de faire ça, marquis.

 

430  Marquis :  Vous avez entendu, inspecteur?

 

431  Scotch :  Mon client n’est pas obligé d’écrire quoi que ce soit lui-même.  Son avocat, c’est-à-dire moi, peut le faire à sa place.

 

432  Marquis :  Parfait.  Alors écrivez à ma place.

 

433  Inspecteur :  Mais c’est ridicule!  Cela ne me donnera absolument rien si c’est l’écriture de Scotch que…

 

434  Scotch :  C’est ça, ou rien du tout!

 

435  Inspecteur :  Très bien, Scotch, allez-y… Écrivez quelques phrases.  (l’inspecteur compare)  Mais… mais… C’est la même écriture!

 

436  Scotch :  Enfer!  (Il va pour se sauver)

 

437  Inspecteur :  Stop, Scotch, ou je tire!

 

438  Scotch :  Ah!  Vous n’avez rien dans votre main!

 

439  Inspecteur :  En êtes-vous si sûr, Scotch?  Êtes-vous prêt à courir le risque?  

 

(Scotch hésite, long combat de regard)

 

440  Scotch :  Ça va, inspecteur, je me rends…

 

441  Inspecteur :  Parfait, Scotch…

 

442  Scotch :  Vous aviez quelque chose dans la main?

 

 

(L’inspecteur ouvre son poing)

 

 

443  Inspecteur :  J’ai bluffé…   Alors Scotch, c’est vous qui avez écrit ces lettres de menace?

 

444  Scotch :  Oui… oui, c’est moi…

 

445  Inspecteur :  Pour détourner les pistes?  Ainsi, vous pouviez tuer Ninon impunément?

 

446  Scotch :  Ah, non, par exemple, ce n’est pas moi qui ai tué Ninon!  J’ai seulement écrit ces lettres!

 

447  Inspecteur :  Mais pourquoi, Scotch?

 

448  Scotch :  Parce que… parce qu’elle me l’a demandé!  (Il pointe la duchesse)

 

449 Inspecteur :  Duchesse, est-ce vrai?  C’est vous qui avez demandé à  Scotch d’écrire ces lettres!

 

450  Duchesse :  Oui… oui, c’est vrai… J’ai dit à Scotch que je m’ennuyais beaucoup, durant les soirées mondaines… Alors, je lui ai dit que cela serait amusant de mettre un peu de piquant en envoyant de fausses lettres de menace, au marquis et à moi, et qu’ainsi on pourrait vous mettre à l’épreuve, vous, inspecteur, juste pour rire… Je lui ai donc demandé de le faire…

 

451  Inspecteur :  Je vois…

 

452  Duchesse :  Mais ce n’était pas la vraie raison… En fait, quelqu’un m’avait demandé d’écrire et d’envoyer ces lettres, mais je n’osais pas le faire moi-même…

 

453  Inspecteur :  Qui vous avait demandé cela?

 

454  Duchesse :  Le… le marquis Ricky Kirlick!

 

455  Marquis :  Hé bien… Oui, j’avoue, c’est vrai… Je savais que la duchesse essayait de devenir poétesse… Je lui ai dit que la poésie devait devenir la vie même.  Le meilleur moyen d’y parvenir, c’était d’envoyer lors de sa prochaine soirée de fausses lettres de menaces, pour ainsi créer de vraies émotions fortes… Je lui ai donc suggéré cet exercice.

 

456  Inspecteur :  Je vois…

 

457  Marquis :  Mais en fait, si je lui demandais d’envoyer ces lettres, ce n’était pas vraiment pour cela… C’était parce que quelqu’un m’avait demandé de le faire et que je n’osais pas…

 

458  Inspecteur :  Qui vous avait demandé cela, marquis?

 

459  Marquis :  C’était… c’était vous, inspecteur!

 

460  Inspecteur :  Oui… oui, il a raison… Quand j’ai dit, au début de cette soirée, que je n’avais jamais vu le marquis, c’était faux… Nous nous sommes vus une fois, il n’y a pas longtemps…  Je lui avais dit alors que sa poésie n’était que fumisterie, qu’elle ne servait à rien, comme je le soutiens encore, d’ailleurs.  Je lui ai dit que son écriture serait enfin intéressante le jour ou il serait capable de la rendre crédible.  Par exemple, en envoyant de fausses lettres de menaces, seulement pour voir s’il avait assez de talent pour rendre ces écrits crédibles.  Piqué au vif, il a accepté mon défi, évidemment.

 

461  Les Autres :  Nous voyons.

 

462  Inspecteur :  Mais en fait, si je lui demandais de faire ça, c’est que quelqu’un m’avait demandé d’envoyer ces lettres et que je n’osais pas le faire moi-même.

 

463  Marquis :  Qui vous a demandé cela, inspecteur?

 

464  Inspecteur :  C’est… c’est Scotch!

 

465  Scotch :  Oui… oui, il a raison… Je connais la duchesse et le marquis… Lorsque la duchesse donne une soirée, elle peut la finir à quatre heures du matin, et le marquis est toujours le dernier à partir.  Comme je voulais finir tôt, ce soir, j’ai demandé l’autre jour à l’inspecteur, qui est un homme raisonnable et qui se couche tôt, d’envoyer ces lettres, seulement pour faire peur à la duchesse et au marquis afin qu’ils finissent la soirée plus tôt…  Ainsi, j’aurais eu ma soirée de libre… Vous comprenez?  Mais je n’osais pas envoyer ces lettres moi-même…

 

466  Duchesse :  Sauf que, finalement, c’est vous qui les avez envoyés!

 

467  Scotch :  Hé oui…  J’avoue que quand vous m’avez demandé vous même de le faire, ça m’a échappé un peu…

 

468  Inspecteur :  Finalement, comme on avait pas le courage de les envoyer, personne n’a osé dire qu’il était au courant!  On s’est tous fait avoir!  Ah, ah!

 

469  Marquis :  Hé, oui!  Qui est pris qui croyait prendre!  Ah, ah, ah!

 

470  Duchesse :  Ça nous apprendra… tous!  Ah, ah, ah!

 

471  Inspecteur :  C’est curieux, mais j’ai l’impression qu’on a drôlement perdu notre temps…

 

472  Marquis :  Et qu’on le perd encore…

 

473  Duchesse :  Moi, j’ai même l’impression que quelqu’un s’est foutu de nous, mais je ne sais pas qui…

 

474Scotch : Moi, j’ai l’impression que j’ai vraiment plus rien à faire ici…

 

475Duchesse :  Effectivement, Scotch, retournez travailler!  Et vous avez de la chance que je ne vous mette pas dehors, vous qui avez provoqué tout cela!

 

476Marquis :  Le mystère des lettres de menace est éclairci, mais cela ne nous explique pas le meurtre de Ninon!

 

477  Inspecteur :  Pour une rare fois, il a raison… Nous sommes toujours suspects tous les trois.  Il existe donc trois possibilités : ou bien la duchesse, durant la panne, a pris un couteau et l’a planté dans le dos de la bonne; ou bien durant la panne, le marquis, prenant un couteau, dans le dos de la bonne, l’a planté; ou bien moi, durant la bonne, j’ai pris une panne et l’ai planté dans le dos du couteau.

 

478  Marquis :  Ou bien la bonne s’est suicidée.

 

479  Inspecteur :  Suicidée?  Vous voulez dire qu’elle se serait tuée elle-même?

 

480  Marquis :  Non, je veux simplement dire qu’elle se serait volontairement enlevé la vie.

 

481  Inspecteur :  C’est une hypothèse.

 

482  Marquis :  Non, un suicide.

 

483 Duchesse :  Enfin, messieurs, c’est ridicule!  Comment Ninon aurait-elle pu elle-même se planter l’arme au milieu du dos?

 

484  Inspecteur :  Elle a raison.  Nous rejetons donc violemment l’idée du suicide loin de nous et avec dégoût.  Marquis, vos idées sont ridicules, ineptes et farfelues.  D’ailleurs, je vous méprise.

 

485  Marquis :  Ça suffit!  J’en ai assez qu’on se moque de moi!  Mais qu’est-ce qu’elle fait, la police, qui n’arrive pas!  Vous êtes sûre que vous avez bien appelé la police, duchesse?

 

486   Duchesse :  Non mais!… Dites tout de suite que je suis une idiote!

 

 487 Marquis :  Tout de suite. Non, je n’oserais pas; mais d’ici dix minutes, je reconsidérerai la chose…

 

488  Inspecteur :  Bon!  Je poursuis mon enquête.  Examinons maintenant l’arme du crime…  (Il se penche, observe le couteau…)  Ah, ah!

 

489   Duchesse :  Qu’y a-t-il inspecteur?

 

490   Inspecteur :  Regardez le manche de l’arme!  Il est rouge!

 

491   Duchesse :   (Elle pousse un long cri) Et alors?

 

492   Inspecteur :  Alors?  L’assassin est donc norvégien!

 

493  Marquis :  Mais c’est absurde!  Quel rapport y a-t-il entre le fait que le manche du couteau soit rouge et que l’assassin soit norvégien?

 

494  Inspecteur :  Aucun!  Il n’y a aucun rapport, justement!  N’est-ce pas là un excellent moyen pour un assassin de cacher son identité?

 

495  Duchesse :  C’est vrai, c’est logique!

 

496  Inspecteur :   Je dois donc découvrir lequel de nous trois est norvégien.  Bon, ce n’est pas moi, je suis gréco-romain…

 

497  Duchesse :  Ah, vous êtes né à Berlin?

 

498  Inspecteur :  Non à Londres… Donc, ce n’est pas moi… Et comme la duchesse a eu la gentillesse de m’inviter, je serais très mal à l’aise de l’accuser… Donc, marquis, je vous prends la main dans le sac!

 

499 Marquis :  Et vous appelez cela une enquête objective!  Eh, bien!  Heureusement que nous avons appelé la police!  Mais qu’est-ce qu’elle fait, qu’elle n’arrive pas!  Duchesse, vous êtes sûre de l’avoir bien appelé?

 

500  Duchesse :   Mais!… Dites tout de suite que je suis une imbécile!

 

501  Marquis :  Tout à l’heure, c’était idiote.

 

502  Duchesse :  Idiote, pardon.

 

503  Marquis :  Mais j’aime bien imbécile…

 

504  Inspecteur :  Alors, marquis, qu’avez-vous à dire pour votre défense?

 

505  Marquis :  Mais absolument rien!  Vous n’avez rien prouvé du tout!  Si vous voulez deviner lequel de nous est norvégien, vous allez devoir utiliser de meilleurs moyens!

 

506  Inspecteur :  Très bien!  Je vais vous faire passer un petit test infaillible!  Duchesse… Dites-moi donc le mot ascenseur en norvégien…

 

507  Duchesse :  Ma foi… Kalouïtaken!

 

508  Inspecteur :  Non…

 

509  Duchesse :  Ho, je peux encore essayer?

 

510  Inspecteur :  Non, non.  Non, c’est trop tard!  Marquis, dites-moi donc ascenseur en norvégien…

 

511 Marquis :  Ce n’est pas juste… Je connais la réponse.

 

512  Inspecteur :  Ah, vraiment?

 

513  Marquis :  Oui, j’ai un ami qui vient de ce pays, voyez-vous…

 

514  Inspecteur :  Et je suppose que vous en êtes fier?

 

515  Marquis :  J’ avoue que j’ai de sérieuses tendances à péter plus haut que le trou…

 

516  Inspecteur :  Mouais…

 

517  Marquis :  Donc, quelque fois, cet ami me parle dans sa langue, et…

 

518  Inspecteur :  Et ascenseur, en norvégien?

 

519  Marquis :  Elevator…

 

520  Inspecteur :  Elevator?

 

521  Marquis :  Oui, elevator…

 

522  Inspecteur :  C’est de l’anglais, ça… Veinard…

 

523  Marquis :  De l’anglais? Ah, le salaud!  Toutes ces années, il a menti!

 

524  Duchesse :  Il semble que votre petit test n’ait  pas fonctionné, inspecteur…

 

525  Inspecteur :  Ce n’est pas grave, j’en connais un autre.  Duchesse, dites-moi donc échafaudage en norvégien?

 

526  Marquis :  En voilà assez!  Tout cela est du plus haut ridicule, au point qu’on en a le vertige!  Ah!  Vivement que la police arrive!  Mais qu’est-ce qu’elle fait, enfin!  Duchesse, vous êtes sûre que vous l’avez bien appelé?

 

527 Duchesse :  Non, mais!  Dites tout de suite que je suis une… heu… une, heu…

 

528  Marquis :  Idiote.

 

529  Duchesse :  C’est ça, une idiote!

 

530  Marquis :  Pas du tout, mais tout cela est fort long!

 

531  Duchesse :  Écoutez, marquis, cela ne fait pas si longtemps!  Il n’est que vingt heures, laissez leur le temps d’arriver, tout de même!

 

 532  Inspecteur :  Quoi?  Qu’est-ce que vous venez de dire?

 

533  Duchesse :  Hein? Heu… Écoutez, marquis…

 

534  Inspecteur :  Non, non, plus loin…

 

535  Duchesse :  Heu… pas si longtemps?

 

536  Inspecteur :  Non, plus loin encore…

 

537  Duchesse :  Heu… arriver tout de même?

 

538  Inspecteur :  Non, quelques mots avant!

 

539  Duchesse :  Il n’est?

 

540  Inspecteur :  Un petit peu après!

 

541  Duchesse :  Leur le temps?

 

542  Inspecteur :  Trois mots avant!

 

543   Duchesse :  Que?

 

544  Inspecteur :  Deux mots après!

 

545  Duchesse :  Heures?

 

546  Inspecteur :  Un mot avant!

 

547  Duchesse :  Heu… attendez… C’est drôle, je ne m’en rappelle pas…

 

548  Inspecteur :  Un chiffre, c’était un chiffre!

 

549  Duchesse :  Heu… huit?

 

550  Inspecteur :  Plus haut!

 

551  Duchesse :  Vingt trois?

 

552  Inspecteur :  Plus bas!

 

553  Duchesse :  Dix-sept?

 

554  Inspecteur :  C’est un multiple de cinq!

 

555  Duchesse :   Hmmm… Dix?

 

556  Inspecteur :  Non!

 

557  Duchesse :  Hmmm… Quinze?

 

558  Inspecteur :   Non, non!  Si j’avais cet âge, aux Etats-Unis, je ne pourrais consommer de l’alcool que l’année prochaine…

 

559  Duchesse :  Hmmm… consommer de l’alcool, aux Etats-Unis, c’est vingt et un ans… je ne pourrais consommer que l’année prochaine, donc j’ai un an de moins, donc… vingt… Vingt!   Vingt!

 

560  Inspecteur :  Oui, c’est ça, vingt!

 

561  Duchesse :  Ouf!  C’était un dur, celui-là…

 

562  Inspecteur :  Oui, j’avoue… Donc, vous avez dit qu’il est vingt heures…

 

563  Duchesse :  (regarde sa montre)  Oui, c’est ce que ma montre indique…

 

564  Inspecteur :  Pourtant, la mienne indique quatorze heures…

 

565  Duchesse :  Ah, vraiment?

 

566  Marquis :  La mienne aussi indique quatorze heures… Je me disais, aussi, que c’était tôt pour une soirée…

 

567  Duchesse :  Hé bien, ah, ah, ma montre a une sérieuse avance, on dirait!  Je vais devoir la faire réparer…

 

568  Inspecteur :  Inutile, duchesse Ethel Sèche… Je vous arrête immédiatement pour le meurtre de la bonne Ninon!

 

569 Duchesse :  Quoi!  Mais qu’est-ce qui vous prend, inspecteur, vous êtes fou ou quoi?

 

570  Marquis :  Inspecteur, vous êtes fou ou quoi, qu’est-ce qui vous prend?

 

571  Duchesse :  Qu’est-ce qui, inspecteur, vous prend, vous êtes, ou quoi, fou?

 

572  Marquis :  Vous prend, ou quoi, inspecteur, fou, vous êtes, qu’est-ce qui?

 

573  Duchesse :  Ou quoi, qu’est-ce qui, fou vous prend…

 

574  Inspecteur :  Taisez-vous!  J’ai découvert que la duchesse est norvégienne!  Par conséquent, vous voilà coupable!  Et paf!

 

575   Duchesse :  Mais puisque je vous dit que je ne suis pas norvégienne, et toc!

 

576  Inspecteur :  Si vous l’êtes!  Votre montre a six heures d’avance sur l’heure normale!  Et vlan!

 

577  Duchesse :  Je ne vois pas le rapport entre le fait que ma montre a six heures d’avance et que je sois norvégienne! Et pouf!

 

578  Inspecteur :  Il y a six heures de décalage horaire!  En quittant votre pays, vous avez oublié de régler votre montre à l’heure d’ici!  Et paisse!

 

579  Duchesse :  Damnation, je suis découverte!

 

580 Inspecteur :  Vous êtes cuite!

 

 

(Inspecteur et duchesse sortent un revolver et se menacent; le Marquis est entre les deux)

 

 

581 Duchesse :  Vous êtes fort, inspecteur, vous avez tout découvert, vous êtes très fort!

 

582 Inspecteur :  Oui, je suis fort, duchesse, j’ai tout découvert, je suis très fort… Mais pourquoi avoir tué la bonne Ninon ?

 

583  Duchesse :  Vous devenez trop curieux, inspecteur, beaucoup trop…

 

 584  Inspecteur :  Oui, je deviens trop curieux, duchesse, beaucoup trop…

 

585  Marquis :  Assez.  Cette situation ne peut plus durer, c’est affreux.

 

586  Inspecteur :  Oui, cette situation ne peut plus durer c’est aff… Allons, duchesse, rangez votre arme, ou je tire.

 

587  Duchesse :  Et si je tire avant vous ?

 

588  Inspecteur :  Essayez toujours.  (les deux tirent)

 

589  Marquis :  Arrgghhhh!

 

590  Inspecteur :  Nous en sommes au même point duchesse…

 

591  Duchesse :  De toute façon, inutile de se tirer dessus… nouveau, puisque dans quelques instants, vous allez perdre connaissance.

 

592   Inspecteur :  Vraiment ?  Vous croyez que je suis impressionnable à ce point?

 

593  Duchesse :  Non… Mais tout à l’heure, quand je vous ai servi à boire, inspecteur, j’ai mis un puissant narcotique dans votre verre…

 

594  Inspecteur :  Vous bluffez…

 

595  Duchesse :  Pas du tout… D’ailleurs, vous commencez déjà à avoir des étourdissements…

 

596  Inspecteur :  Ah… Coquine que vous êtes… Mais… mais pourquoi avoir mis un narcotique dans… dans mon verre ?  Je n’avais pas encore comm… commencé mon enquête, vous n’aviez pas à vous méfier de… de moi…  Et puis, tout le monde en a bu, de cet alcool!

 

597  Duchesse :  Allons, inspecteur, vous aurez beau trouver des incohérences dans le scénario, cela ne fera qu’accélérer votre évanouissement…

 

598  Inspecteur :  Je dois… je dois vous… avant que je… je…Ahhhh!  Je vois la lumière noire…

 

599  Duchesse :  Ah, ah, ah!  Faites de beaux rêves, inspecteur!  Ah! ah! ah!

 

600  Narrateur :  Ah, pauvre inspecteur!  La duchesse a été plus diabolique que vous!  Et maintenant, elle vous tient en son pouvoir!  Qu’allez-vous devenir ?  Vous, prisonnier; le marquis, blessé gravement!  Tremblez, pauvres mortels!  Tremblez  (voix qui s’éloigne)  Tremblez, impuissants!  Trem… (sifflet de train, puis bruit d’impact)

 

601  Duchesse :  Alors inspecteur, vous avez fait un bon somme ?

 

602  Inspecteur :  Non, pas vraiment, t’as tiré sur la couverte toute la nuit, pis… Mais… mais ou suis-je ?  Ah!  Je me souviens!  Scélérate!  La police va arriver d’une minute à l’autre!  Alors, qui rira verra bien celui qui le dit le dernier qui rira celui qui l’est!

 

603  Duchesse :  La police!  Ah, ah!  Pauvre inspecteur!  Vous oubliez que c’est moi qui l’ai appelé!  Donc… donc…?

 

604  Inspecteur :  Vous l’avez appelé dans un village très éloigné, je suppose?

 

605  Duchesse :  Non!  Donc…?

 

606  Inspecteur :  Vous lui avez donné la mauvaise adresse ?

 

607  Duchesse :  Mais non!  Je ne l’ai pas appelée du tout, pauvre idiot!

 

608  Inspecteur :  Vous êtes diabolique!

 

609  Duchesse :  Ah, ah!  Pour ce qui est du marquis, je ne m’inquiète pas, il va mourir au bout de son sang… Mais vous, inspecteur, je vais vous tuer d’une balle dans le pied.

 

610  Inspecteur :  Vous voulez dire dans la tête.

 

611  Duchesse :  Non, dans le pied!  Souvent, je me cogne le pied contre mon lit ou contre mon bureau et cela me fait souffrir terriblement!  J’ai toujours rêvé de me venger, de voir un autre souffrir autant que moi un jour!  Vous mourrez d’une balle dans le pied, ainsi vous comprendrez ma souffrance!

 

612  Inspecteur :  Mais duchesse, tout le monde se cogne le pied de temps en temps, vous n’êtes pas la seule!

 

613  Duchesse :  Ah, bon?  Vous vous êtes déjà cogné le lobe d’oreille sur un bureau?

 

614  Inspecteur :  N… non

 

615  Duchesse :  Alors, vous mourrez d’une balle dans le lobe!  Ah, ah ah!  Après quoi, je vous enterrerai tous les trois dans le jardin… Mais avant, je vais me préparer un verre… Si je me rappelle bien, ma bouteille est sous le bar…

 

616  Inspecteur :  Marquis… Marquis, écoutez-moi!

 

617  Marquis :  Arghh… arr… qu… quoi, inspecteur?

 

618  Inspecteur :  Rien n’est perdu, il reste Scotch!  Il faut alerter Scotch et vite!  Mais il faut l’appeler sans que la duchesse ne s’en rende compte.  Dites à la duchesse que votre souffrance vous donne soif et que vous voulez à boire… vous comprenez ou je veux en venir?

 

619  Duchesse :  Qu’est-ce que vous marmonnez encore, inspecteur?

 

620  Inspecteur :  Rien.  Des marmonnades.

 

621  Duchesse :  Bien.  Dites, vous voulez que je vous récite le reste de mon poème?

 

622  Inspecteur :  Écoutez, duchesse, votre poème, vous pouvez vous le mettre dans un endroit dont je tairai le nom, mais qui a la réputation d’être très sombre, très étroit, qui dégage une odeur souvent douteuse mais qui peut procurer, si on y va délicatement et avec doigté, un plaisir assez surprenant.

 

623  Duchesse :  Alors, si vous ne voulez pas m’entendre, vous ne parlerez pas vous non plus!  Je vais vous faire taire, le temps que je boive mon verre.  Voilà.  Je prends mon verre, et ensuite :  pan!  Dans le lobe!

 

624  Marquis :  Duch… duchesse… J’ai s…soif…

 

625  Duchesse :  Oui, j’imagine, blessé comme vous l’êtes… Alors le dernier verre du condamné, peut-être?  Ah, ah?  Que voulez-vous boire, pauvre marquis?

 

626  Marquis :  W… w… whisky…

 

627  Duchesse :  Whisky?  Très bien…

 

628  Inspecteur :  Hmmmmbbglglblgbbglgl

 

629  Marquis :  Heu… N… non, duch… duchesse… Je vais prendre du… du…

 

630  Duchesse :  Oui?

 

631  Marquis :  Rhum…

 

632  Inspecteur :  Hmmmmbbglglblgbbglg

 

633  Marquis :  Heu, non…

 

634  Duchesse :  Alors, quoi!

 

635  Marquis :  S…s…s…

 

636  Inspecteur :  Mmmmm!

 

637  Marquis :  Sangria…

 

638  Inspecteur :  Hmmmmbbglglblgbbglg

 

639  Marquis :  Écoutez, c’est moi qui suis en train de mourir, est-ce que je peux boire ce que je veux!

 

640  Duchesse :  Il a raison, inspecteur!  Laisse-le faire!

 

641  Marquis :  Av… avant de mourir, je veux… je veux lire mon dernier poème une… une dernière fois…  Mis… misère, elle est déchir… déchirée… Duchesse, s’il, s’il-vous-plait, amenez-moi du scotch-tape afin que… que je puisse recoller mon chef-d’œuvre… avant de mou… mourir…

 

642  Duchesse :  Vous voulez quoi?

 

643  Marquis :  Du… du scotch-tape!  Du scotch, merde, vous… vous savez ce que c’est…

 

644  Duchesse :  Vous bredouillez, pauvre moribond, je ne comprends rien!  Du quoi?

 

645  Marquis :  Du scotch-tape!  Du scotch! (scotch entre)

 

646  Scotch :  Vous m’avez appelé, mada… Mais… mais que se…

 

647  Duchesse :  Heu… Scotch, c’est, heu… (Scotch sort en courant)  Scotch!  Revenez ici!

 

648  Inspecteur :  Bravo, marquis!  Scotch va prévenir la police, nous sommes sauvés!

 

649  Marquis :  Ah, insp… pecteur… Je serai mort lorsqu’elle arr…arrive…arrivera!

 

650  Inspecteur :  C’est pas grave, vous avez fait ce qu’il fallait!

 

651  Scotch :  Oui, chez la duchesse Sèche!  Venez vite!  Vite!

 

652  Marquis :  Aerggghhh!

 

653  Inspecteur :  Ah, marquis, c’est votre mauvaise vie de poète controversé qui vous retombe sur le nez, aujourd’hui!  Vous payez pour vos pêchés, mon pauvre vieux!

 

654  Marquis :  Mais… mais allez-vous me… me dire pourquoi vous… vous détestez tant les … les poètes?

 

655  Inspecteur :  Vous aviez raison, tout à l’heure, marquis… C’est à cause de mon ex-conjointe, Pénélope… Mais il est trop tard, maintenant…

 

656  Scotch :  …toujours tout droit, puis, à la lumière, vous tournez à gauche… ensuite, vous roulez jusque chez devant Bonbons Thérèse, puis à gauche de chez Pit chaussures… Ensuite…

 

657  Inspecteur :  Marquis… marquis, déliez-moi les mains… vite… Vite, je vous en supplie!

 

658  Marquis :  Laissez-moi mourir en pa… paix, inspecteur…

 

659  Inspecteur :  Oui, oui, quand vous m’aurez détaché, je vous jure!  Je vous aiderai, même, si vous le voulez!  Mais détachez-moi vite!

 

660  Scotch :  …moitié peperronni, moitié toute garni… non, pas d’anchois, non…

 

661  Inspecteur :  Ah!  Enfin!  Merci, marquis!  Mourrez, maintenant…

 

662  Marquis :  Mer… merci, inspecte… inspecteur…

 

663  Duchesse :  J’arrive à temps on dirait, inspecteur!  Allez, tout le monde sur le divan!

 

664  Inspecteur :  Alors, Scotch, vous avez eu le temps d’appeler la police?

 

665  Scotch :  Oui, inspecteur…

 

666  Duchesse :  Vous n’avez pas gagné pour autant, inspecteur!  J’ai eu le temps de vous tuer tous avant qu’elle n’arrive!  Ensuite, je me sauverai avec le butin!

 

667  Inspecteur :  Quel butin?

 

668  Duchesse :  Heu… Je ne sais pas, le butin!  Bon!  Préparez-vous à mourir!  Allez, hop, dans le lop, glop-glop!  Et ensuite, je vous enterre dans le jardin!  Et je me sauve à New-York

 

669  Inspecteur :  Il faut gagner du temps… Scotch…

 

670  Duchesse :  Adieu…

 

671  Inspecteur :  Duchesse,  duchesse!  Le jardin, ce n’est pas une bonne idée!  C’est trop classique, c’est la première place ou les flics fouilleront!

 

672  Duchesse :  Hmmmmm… Vous avez raison… Alors, ou puis-je vous cacher!

 

673  Scotch :  Dans la rivière?

 

674  Duchesse :  Bonne idée!

 

675  Inspecteur :  Scotch!

 

676  Scotch :  Mais, heu, je voulais juste, heu…

 

677  Duchesse :  Adieu, messieurs!

 

678  Inspecteur :  Non, duchesse!  La rivière, c’est une très mauvaise idée!  Imaginez qu’un pêcheur nous pêche, un moment donné, mais nous sommes si décomposés qu’il croit que nous sommes du poisson!  Un jour, vous vous promenez en ville, et paf!  Qu’est-ce que vous voyez, étendus sur les étalages d’une poissonnerie?  Nos cadavres, au prix du gros!  Ça vous en boucherait un coin, hein?

 

679  Duchesse :  Mouais… Vous avez raison, pas la rivière… Alors… Je sais :  je vous jette dans la grande cheminée de l’usine Bamcroft, à cinq minutes d’ici!

 

680  Inspecteur :  Ho, la mauvaise idée, duchesse!  Très, très mauvais choix!  Dans cette cheminée, nous allons brûler!  Nos cendres sortiront par la cheminée et iront s’emmagasiner dans les nuages qui finiront par survoler New-York!  Lorsqu’il pleuvra, nos cendres seront dilués dans la pluie, duchesse, et tandis que vous marchez tranquillement dans Central Park, vous vous ferez arroser par une averse contenant les cendres de nos cadavres!  Nos gouttes, rengorgées de colère, rongeront vos vêtements, brûleront votre peau, s’infiltreront en vous et jamais, jamais vous ne sécherez, toujours humide de nos larmes de vengeance!  Vous imaginez?  Enfin, j’en ai mis un peu, mais vous saisissez le fond de la chose…

 

681  Duchesse :  Ça suffit, inspecteur!  Je vous tue tous, immédiatement!

 

682  Inspecteur :  Duchesse, dites-moi au moins pourquoi vous avez tué la bonne Ninon!

 

683  Duchesse :  Non… Mais en consolation, je peux terminer de réciter mon poème, si vouss…

 

684  Inspecteur :  Tuez-nous, bon sang!  Assez de cette maudite poésie et tuez-nous!

 

685  Duchesse :  Bon sang, trop à gauche… Je recommence…

 

686  Voix :  Rendez-vous, Duchesse Ethel Sèche!  La maison est cernée!  Il y a des policiers partout!  Un hélicoptère survole votre maison!  Vous ne pouvez pas vous sauver, gna-gna, on est plus fort que vous, tra-la-la!

 

687  Duchesse :  Enfer!  La police, déjà!

 

688  Inspecteur :  Vous êtes cuite, duchesse!

 

689  Duchesse :  Pas si vite!  Si vous faites un pas, je tire une balle dans la jambe des otages!  Si vous faites un autre pas, je tire trois balle dans leur jambe!  Si vous en faites un autre, je tire neuf balles!  Et si vous faites un autre pas, combien de balles je vais tirer, vous pensez?  Quelle chiffre poursuit la série?

 

690  Voix :  Heu… 18?

 

691  Duchesse :  Non!  27!  Il fallait multiplier le dernier chiffre de la série par trois!  Alors neuf fois sept, ça fait…

 

692  Voix :  Du calme!  Nous allons envoyer un émissaire pour discuter avec vous!

 

693  Duchesse :  Un émissaire ?

 

694  Inspecteur :  Dites oui, duchesse… Vous n’avez rien à perdre…

 

695  Duchesse :  D’accord, envoyez cet émissaire!  Sans arme!

 

696  Voix :  Sansarme n’est pas disponible, il est en vacances.  Nous vous envoyons un autre émissaire, tout aussi compétent.  (on frappe à la porte)

 

697  Duchesse :  Entrez!  (Une femme police entre)

 

698  Émissaire :  C’est moi qu’on envoie comme émissaire.  Et je vous jure que je ne me suis pas porté volontaire.

 

699  Inspecteur :  Pénélope!

 

700  Émissaire :  Hector!

 

701  Duchesse :  Vous vous connaissez, on dirait…

 

702  Inspecteur :  Disons que… j’ai vécu quelques années avec le sergent Pénélope…

 

703  Émissaire :  Oui… quelques années de trop… Mais nous ne sommes pas ici pour parler de nous, n’est-ce pas?  C’est assez tragique comme cela!  C’est le travail qui m’appelle!  Duchesse, je suis venue vous faire entendre raison!

 

704  Duchesse :  Hé bien, votre raison a intérêt à parler fort, parce que je ne suis pas sûre de l’entendre…

 

705  Émissaire (voit le cadavre de Ninon) :  Mon Dieu, un cadavre… Est-elle morte?

 

706  Duchesse :  Visiblement…

 

707  Émissaire :  Vous êtes dans de beaux draps, duchesse…

 

708  Duchesse :  Vous trouvez?  Merci beaucoup… Je ne l’ai pas payée chère, pourtant…

 

709  Émissaire :  C’est de la soie?

 

710  Duchesse :  Oui, de la soie…

 

711  Inspecteur :  Pénélope, je t’en prie…

 

712  Émissaire :  Bon, toujours aussi casse-pieds, toi… Allons, duchesse… La maison est cernée, vous n’avez aucune chance de… (elle voit le marquis)  Mon Dieu, c’est le marquis Ricky Kirlick!

 

713  Marquis :  En… enchanté, madame…

 

714  Émissaire :  Tu vois, Hector, ça c’était un poète!

 

715  Inspecteur :  Oui, oui, ça va…

 

716  Duchesse :  Mais… de quoi parlez-vous?

 

717  Émissaire :  Quand je vivais avec Hector, il m’écrivait des poèmes… Enfin, il essayait de m’écrire des poèmes, mais c’était pathétique!  Jamais il n’a été capable d’en finir un seul…

 

718  Duchesse :  Non, vraiment?

 

719  Inspecteur :  Pénélope, je t’en prie, ce n’est pas le moment…

 

720  Émissaire :  Jamais un seul!  Vous voulez que je vous lise le seul qu’il a commencé?   Je l’ai toujours sur moi, pour faire rire les collègues à la cantine… Écoutez ça  (elle sort un papier et lit)  Et c’est pour toi… C’est tout! En trois ans, c’est tout ce qu’il a été capable de m’écrire!  N’est-ce pas lamentable?

 

721  Marquis :  C’est… c’est pour cela qu’il n’aime pas les… les poètes…

 

722  Émissaire :  Exactement!  Parce que jamais il n’en a été un!  Jamais!  Jamais il n’a été capable d’être quoi que ce soit…

 

723  Duchesse :  Fini de rire, de toute façon!  Vous êtes venue pour rien, madame la police.  Je ne me rendrai pas!  Je tuerai tout le monde ici avant de me rendre, vous m’entendez!  Et si ce n’est pas suffisant, j’inviterai d’autres gens et je les tuerai aussi!  Je ferai du porte à porte s’il le faut!  J’organiserai un téléthon!  Je….

 

724  Émissaire :  Allons, allons, duchesse, je vous en prie, soyez raisonnable et rendez-vous!  Pensez à vos enfants!

 

725  Duchesse :  J’ai pas d’enfants.

 

726  Émissaire :  Ah, bon?  Alors, pensez aux miens…

 

727  Duchesse :  Vous n’avez pas d’enfants.

 

728  Émissaire :  C’est pourtant vrai… Alors pensez aux siens (elle montre le marquis)

 

729  Marquis :  Mais je n’ai pas d’enf….

 

730  Duchesse :  Ça suffit!  Je ne pense à aucun enfants!  Je ne pense qu’à moi, moi, moi, ma solitude et mes couches bouboules!  Vous ne savez pas tout ce que j’ai enduré!  Vous ne le savez pas!

 

731  Émissaire :  Moi, j’ai une petite idée de ce que c’est de vivre un enfer… Mais vous avez raison, nous ne le savons pas vraiment… et nous aimerions le savoir!

 

732  Duchesse :  Le petit oiseau que j’ai trouvé, quand j’étais petite… Mon petit oiseau… J’ai commencé à réciter un poème, tout à l’heure, mais ces imbéciles m’ont coupé!  Vous voulez que je vous récite la suite?

 

733  Inspecteur :  Ah, non!  Tout, mais pas ça!  Nous ne…

 

734  Émissaire :  Hector, tais-toi!  Tu vas tout gâcher!  Je sais que c’est un domaine dans lequel tu excelles particulièrement, mais tout de même!  Oui, duchesse, récitez-moi la suite de votre poème!

 

735  Duchesse :  Ah, non!  On reste, pendant que je récite!

 

736  Scotch :  Inspecteur!  Inspecteur!  Ve… venez ic… ici… (l’inspecteur s’approchant)  De…demain soir, aux courses de chevaux… Black Beauty en première et… Red Toréo en… en deuxième…

 

737  Inspecteur :  Pauvre folle…

 

738  Émissaire :  Hector, silence!  Tu vas empirer les choses!

 

739  Duchesse :  Mon poème, donc!  J’étais rendu… heu… ah, oui :  hum, hum… :  Mais voilà que passe la charrue avec sa gratte, 

Qui par erreur, arracha et pulvérisa mon petit oisillon, 

Car au volant de la charrue j’avais reconnu l’ingrate, 

Celle qui conduisait si mal, c’était ma bonne Ninon.  

Ah, Ninon, jamais je ne pourrai te pardonner, 

Mon âme crie vengeance à tous les instants, 

Et même si je garde toute ma colère renfermée, 

Un jour elle éclatera dans un flot de sang.  

C’est beau hein!

 

740  Inspecteur :  Voilà donc… voilà donc pourquoi vous l’avez tuée…

 

741  Duchesse :  Hé bien… oui… Oui, c’est pour cela… Je ne pouvais plus vivre avec ce souvenir, je ne pouvais plus!  Chaque fois qu’elle me regardait, je voyais dans ses yeux le cadavre du petit oiseau… Chaque fois qu’elle bégayait, qu’elle disait a…a…a…, moi, j’entendais cui…cui…cui… Et en plus, à cause de la tradition, j’étais obligé d’en faire mon héritière!  Non, c’était trop!  J’en pouvais plus, j’en pouvais plus…  Parfois, je rêve que je cours dans une manufacture de crayons… cheveux aux vents… carte routière à la main… Et quand je me réveille, j’ai toujours ce goût de pamplemousse dans la bouche… et je ne me souviens de rien… de rien!

 

742  Émissaire :  Tu vois!  Si tu l’avais écouté avant, si tu avais été plus diplomate, tout se serait arrangé… Mais ça, tu n’as jamais su… Hein, Hector?  Allons, allons duchesse, c’est fini, votre cauchemar est fini… Vous allez passer vingt années tranquilles en prison et tout ira bien… Allons, allons…

 

743  Inspecteur :  Pénélope, attention!

 

744  Duchesse :  Ah… ah mon Dieu…  Inspecteur… inspec… pecteur…  La re… recette du gâteau aux fruits… deux tasses de sucre… une tasse de lait… et les œufs… les œufs…  (elle meurt)

 

745  Inspecteur :  Combien d’œufs?  Combien d’œufs, duchesse?  Combien d’œufs, combien d’oeu…

 

746  Émissaire :  Arrête, Hector, elle est morte!

 

747  Inspecteur :  Oui… Tu as raison…

 

748  Émissaire :  Hector!  Ho, Hector, j’ai eu si peur quand j’ai vu son couteau!

 

749  Inspecteur :  Pénélope, peut-être que je ne suis pas un grand poète, peut-être que je ne suis pas très diplomate, peut-être que je ne suis pas un bon flic, peut-être que je suis même un parfait imbécile et un bon à rien, peut-être que je ne t’ai jamais fait jouir pendant notre vie commune, mais Pénélope, je t’ai sauvée la vie!  Réfléchis à ça!

 

750  Marquis :  Inspecteur… insp… inspecteur…

 

751  Inspecteur :  Le marquis… Cette fois ça y’est, il va mourir…

 

752  Marquis :  Savez… savez-vous la différence entre un ascenseur pis un chômeur?

 

753  Émissaire :  Hector… Écoute, je… j’ai réfléchi, et.. Écoute, c’est vrai que tu n’es pas un grand poète… C’est vrai que tu n’es as très diplomate… C’est vrai que tu n’es pas un bon flic, que tu es un parfait imbécile… que tu ne m’as jamais fait jouir, et que même les danseuses que tu allais voir tous les soirs se foutaient de ta gueule tant tu étais ridicule… un point tel que plus aucune prostituée ne voulait coucher avec toi parce qu’elles avaient peur que même les condoms refusent de te protéger, quoique jamais on n’ait pu trouver un condom qui te fasse, on avait beau les faire rétrécir au lavage, il y en avait toujours six centimètres qui pendaient dans le vide et…

 

754  Inspecteur :  Bref, Pénélope?  Bref?

 

755  Émissaire :  Bref, c’est vrai que tu es tout ça, Hector, mais… Hé bien… Oui, je t’aime!  Je t’aime Hector!

 

756  Inspecteur :  Je t’aime Pénélope!

 

758  Narrateur :  Et voilà!  Le bien a encore vécu!  Le mal a été anéanti par la loi et la justice, et le noble inspecteur Hector, a une fois de plus remporté la bataille!  Soyez heureux, public!  Soyez rassurés!  Mais attention, les nuits sont encore pleine de menaces!  Vous devrez retournez chez vous, dans le noir!  Tremblez, mortels!  Tremblez!  Tremblez mort (coup de feu)