Texte | Marivaux |
Mise en scène | Geneviève Comtois |
Directeurs de production | Stéphane Godin et Bernard Dagenais |
Conception des éclairages | Geneviève Comtois et Benoit Godin |
Montage des éclairages | Benoit Godin |
Aide au montage | Stéphane Godin, Bernard Dagenais, Daniel Trudel, Jean-François Vézina |
Vidéo | Jean-François Vézina |
Régie de plateau | Bernard Dagenais |
Costumes | Geneviève Comtois |
Décors | Geneviève Comtois et Stéphane Godin |
Accessoires | Membres de la troupe |
Accueil | Pierre Charron, Bernard Dagenais, Marie-Rose Desjardins |
Manipulation du son et des éclairages | Constantin Hudon, Marc Patry |
Lysette | Annick Leclerc |
Sylvia | Maude Letendre |
Orgon | Stéphane Godin |
Mario | Daniel Trudel |
Serviteur | Pierre Charron |
Dorante | Benoit Godin |
Arlequin | Alain Fontaine |
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE - SILVIA, LISETTE.
SILVIA
Mais encore une fois, de quoi vous mêlez-vous, pourquoi répondre de mes sentiments ?
LISETTE
C'est que j'ai cru que dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de
tout le monde ; Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu'il vous marie,
si vous en avez quelque joie ; moi je lui réponds qu'oui ; cela va tout de suite ; et
il n'y a peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui-là ne soit pas vrai,
le non n'est pas naturel.
SILVIA
Le non n'est pas naturel ; quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands
charmes pour vous ?
LISETTE
Eh bien, c'est encore oui, par exemple.
SILVIA
Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n'est pas à vous
à juger de mon coeur par le vôtre.
LISETTE
Mon coeur est fait comme celui de tout le monde ; de quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être
fait comme celui de personne ?
SILVIA
Je vous dis que si elle osait, elle m'appellerait une originale.
LISETTE
Si j'étais votre égale, nous verrions.
SILVIA
Vous travaillez à me fâcher, Lisette.
LISETTE
Ce n'est pas mon dessein ; mais dans le fond voyons, quel mal ai-je fait de dire à
Monsieur Orgon, que vous étiez bien aise d'être mariée ?
SILVIA
Premièrement, c'est que tu n'as pas dit vrai, je ne m'ennuie pas d'être fille.
LISETTE
Cela est encore tout neuf.
SILVIA
C'est qu'il n'est pas nécessaire que mon père croie me faire tant de plaisir en me
mariant, parce que cela le fait agir avec une confiance qui ne servira peut-être de rien.
LISETTE
Quoi, vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
SILVIA
Que sais-je ? Peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
LISETTE
On dit que votre futur est un des plus honnêtes du monde, qu'il est bien fait, aimable, de
bonne mine, qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne saurait être d'un meilleur
caractère ; que voulez-vous de plus ? Peut-on se figurer de mariage plus doux ? D'union
plus délicieuse ?
SILVIA
Délicieuse ! Que tu es folle avec tes expressions !
LISETTE
Ma foi, Madame, c'est qu'il est heureux qu'un amant de cette espèce-là, veuille se
marier dans les formes ; il n'y a presque point de fille, s'il lui faisait la cour, qui ne
fût en danger de l'épouser sans cérémonie ; aimable, bien fait, voilà de quoi vivre pour
l'amour, sociable et spirituel, voilà pour l'entretien de la société : pardi, tout en sera
bon dans cet homme-là, l'utile et l'agréable, tout s'y trouve.
SILVIA
Oui dans le portrait que tu en fais, et on dit qu'il y ressemble, mais c'est un, on dit,
et je pourrais bien n'être pas de ce sentiment-là, moi ; il est bel homme, dit-on, et c'est
presque tant pis.
LISETTE
Tant pis, tant pis, mais voilà une pensée bien hétéroclite !
SILVIA
C'est une pensée de très bon sens ; volontiers un bel homme est fat, je l'ai remarqué.
LISETTE
Oh, il a tort d'être fat ; mais il a raison d'être beau.
SILVIA
On ajoute qu'il est bien fait ; passe.
LISETTE
Oui-da, cela est pardonnable.
SILVIA
De beauté, et de bonne mine je l'en dispense, ce sont là des agréments superflus.
LISETTE
Vertuchoux ! si je me marie jamais, ce superflu-là sera mon nécessaire.
SILVIA
Tu ne sais ce que tu dis ; dans le mariage, on a plus souvent affaire à l'homme raisonnable,
qu'à l'aimable homme : en un mot, je ne lui demande qu'un bon caractère, et cela est plus
difficile à trouver qu'on ne pense ; on loue beaucoup le sien, mais qui est-ce qui a vécu
avec lui ? Les hommes ne se contrefont-ils pas ? Surtout quand ils ont de l'esprit, n'en
ai-je pas vu moi, qui paraissaient, avec leurs amis, les meilleures gens du monde ?
C'est la douceur, la raison, l'enjouement même, il n'y a pas jusqu'à leur physionomie qui
ne soit garante de toutes les bonnes qualités qu'on leur trouve. Monsieur un tel a l'air
d'un galant homme, d'un homme bien raisonnable, disait-on tous les jours d'Ergaste :
aussi l'est-il, répondait-on, je l'ai répondu moi-même, sa physionomie ne vous ment pas
d'un mot ; oui, fiez-vous-y à cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un
quart d'heure après pour faire place à un visage sombre, brutal, farouche qui devient
l'effroi de toute une maison. Ergaste s'est marié, sa femme, ses enfants, son domestique
ne lui connaissent encore que ce visage-là, pendant qu'il promène partout ailleurs cette
physionomie si aimable que nous lui voyons, et qui n'est qu'un masque qu'il prend au sortir
de chez lui.
LISETTE
Quel fantasque avec ces deux visages !
SILVIA
N'est-on pas content de Léandre quand on le voit ? Eh bien chez lui, c'est un homme qui
ne dit mot, qui ne rit, ni qui ne gronde ; c'est une âme glacée, solitaire, inaccessible ;
sa femme ne la connaît point, n'a point de commerce avec elle, elle n'est mariée qu'avec
une figure qui sort d'un cabinet, qui vient à table, et qui fait expirer de langueur, de
froid et d'ennui tout ce qui l'environne ; n'est-ce pas là un mari bien amusant ?
LISETTE
Je gèle au récit que vous m'en faites ; mais Tersandre, par exemple ?
SILVIA
Oui, Tersandre ! Il venait l'autre jour de s'emporter contre sa femme, j'arrive, on
m'annonce, je vois un homme qui vient à moi les bras ouverts, d'un air serein, dégagé,
vous auriez dit qu'il sortait de la conversation la plus badine ; sa bouche et ses yeux
riaient encore ; le fourbe ! Voilà ce que c'est que les hommes, qui est-ce qui croit que sa
femme est à lui ? Je la trouvai toute abattue, le teint plombé, avec des yeux qui venaient
de pleurer, je la trouvai, comme je serai peut-être, voilà mon portrait à venir, je vais du
moins risquer d'en être une copie ; elle me fit pitié, Lisette : si j'allais te faire pitié
aussi : cela est terrible, qu'en dis-tu ? Songe à ce que c'est qu'un mari.
LISETTE
Un mari ? C'est un mari ; vous ne deviez pas finir par ce mot-là, il me raccommode
avec tout le reste.
SCÈNE 2 - MONSIEUR ORGON, SILVIA, LISETTE
MONSIEUR ORGON
Eh bonjour, ma fille. La nouvelle que je viens d'annoncer te fera-t-elle plaisir ? Ton
prétendu est arrivé aujourd'hui, son père me l'apprend par cette lettre-ci ; tu ne me
réponds rien, tu me parais triste ? Lisette de son côté baisse les yeux, qu'est-ce que cela
signifie ? Parle donc toi, de quoi s'agit-il ?
LISETTE
Monsieur, un visage qui fait trembler, un autre qui fait mourir de froid, une âme gelée
qui se tient à l'écart, et puis le portrait d'une femme qui a le visage abattu, un teint
plombé, des yeux bouffis, et qui viennent de pleurer ; voilà Monsieur, tout ce que nous
considérons avec tant de recueillement.
MONSIEUR ORGON
Que veut dire ce galimatias ? Une âme, un portrait : explique-toi donc ! Je n'y entends
rien.
SILVIA
C'est que j'entretenais Lisette du malheur d'une femme maltraitée par son mari, je lui
citais celle de Tersandre que je trouvai l'autre jour fort abattue, parce que son mari
venait de la quereller, et je faisais là-dessus mes réflexions.
LISETTE
Oui, nous parlions d'une physionomie qui va et qui vient, nous disions qu'un mari porte
un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme.
MONSIEUR ORGON
De tout cela, ma fille, je comprends que le mariage t'alarme, d'autant plus que tu ne
connais point Dorante.
LISETTE
Premièrement, il est beau, et c'est presque tant pis.
MONSIEUR ORGON
Tant pis ! Rêves-tu avec ton tant pis ?
LISETTE
Moi, je dis ce qu'on m'apprend ; c'est la doctrine de Madame, j'étudie sous elle.
MONSIEUR ORGON
Allons, allons, il n'est pas question de tout cela ; tiens, ma chère enfant, tu sais
combien je t'aime. Dorante vient pour t'épouser ; dans le dernier voyage que je fis
en province, j'arrêtai ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et mon ancien ami,
mais ce fut à condition que vous vous plairiez à tous deux, et que vous auriez entière
liberté de vous expliquer là-dessus ; je te défends toute complaisance à mon égard,
si Dorante ne te convient point, tu n'as qu'à le dire, et il repart ; si tu ne lui
convenais pas, il repart de même.
LISETTE
Un duo de tendresse en décidera comme à l'Opéra ; vous me voulez, je vous veux, vite
un notaire ; ou bien m'aimez-vous, non, ni moi non plus, vite à cheval.
MONSIEUR ORGON
Pour moi je n'ai jamais vu Dorante, il était absent quand j'étais chez son père ; mais sur
tout le bien qu'on m'en a dit, je ne saurais craindre que vous vous remerciiez ni l'un ni
l'autre.
LISETTE
Il n'y a que le meilleur de tous les hommes qui puisse dire cela.
MONSIEUR ORGON
Explique-toi, ma fille.
SILVIA
Dorante arrive ici aujourd'hui, si je pouvais le voir, l'examiner un peu sans qu'il me
connût ; Lisette a de l'esprit, Monsieur, elle pourrait prendre ma place pour un peu de
temps, et je prendrais la sienne.
MONSIEUR ORGON, à part.
Son idée est plaisante. (Haut.) Laisse-moi rêver un peu à ce que tu me dis là. (A part.)
Si je la laisse faire, il doit arriver quelque chose de bien singulier, elle ne s'y attend
pas elle-même... (Haut.) Soit, ma fille, je te permets le déguisement. Es-tu bien sûre de
soutenir le tien, Lisette ?
LISETTE
Moi, Monsieur, vous savez qui je suis, essayez de m'en conter, et manquez de respect,
si vous l'osez ; à cette contenance-ci, voilà un échantillon des bons airs avec lesquels
je vous attends, qu'en dites-vous ? Hem, retrouvez-vous Lisette ?
MONSIEUR ORGON
Comment donc, je m'y trompe actuellement moi-même ; mais il n'y a point de temps à
perdre, va t'ajuster suivant ton rôle, Dorante peut nous surprendre, hâtez-vous, et qu'on
donne le mot à toute la maison.
SILVIA
Il ne me faut presque qu'un tablier.
LISETTE
Et moi je vais à ma toilette, venez m'y coiffer, Lisette, pour vous accoutumer à vos
fonctions ; un peu d'attention à votre service, s'il vous plaît !
SILVIA
Vous serez contente, Marquise, marchons.