Texte | Molière |
Mise en scène | Bernard Dagenais |
Directeur de production | Bernard Dagenais |
Conception des éclairages | Benoit Godin |
Montage des éclairages | Benoit Godin |
Aide au montage | Bernard Dagenais, Daniel Trudel, François Tremblay |
Vidéo | Sophie Thibault |
Régie de Plateau | Mireille Marois |
Décors et Costumes | Mireille Marois |
Accessoires | Membres de la troupe |
Maquillage | Maude Letendre |
Accueil | Bernard Dagenais, Daniel Trudel, Marie-Rose Desjardins, Isabelle Fleming |
Manipulation du son et des éclairages | Benoit Godin |
Le Barbouillé | Daniel Trudel |
Le Docteur | François Tremblay |
Angélique | Maude Letendre |
Valère | Alain Fontaine |
Cathau | Marie-Josée Bernard |
Gorgibus | Patrick-Richard Boily |
Villebrequin | Bernard Dagenais |
Sganarelle | Alain Fontaine |
Géronimo | Patrick-Richard Boily |
Dorimène | Maude Letendre |
Alcantor | Daniel Trudel |
Lycaste | Bernard Dagenais |
Bohémienne 1 | Marie-Josée Bernard |
Bohémienne 2 | Maude Letendre |
Docteur 1 | Bernard Dagenais |
Docteur 2 | Marie-Josée Bernard |
Alcidas | Bernard Dagenais |
Scène première
LE BARBOUILLÉ: Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes.
J'ai une femme qui me fait enrager: au lieu de me donner du soulagement
et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt
fois le jour; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade,
la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ah! pauvre
barbouillé, que tu es misérable! Il faut pourtant la punir. Si je la tuais.
L'invention ne vaut rien, car tu serais pendu. Si tu la faisais mettre en
prison. La carogne en sortirait avec son passe-partout. Que diable faire donc?
Mais voilà Monsieur le Docteur qui passe par ici: il faut que je lui demande
un bon conseil sur ce que je dois faire.
Scène II
LE DOCTEUR, LE BARBOUILLÉ.
LE BARBOUILLÉ: Je m'en allais vous chercher pour vous faire une prière sur une chose
qui m'est d'importance.
LE DOCTEUR: Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, et bien mal morigéné,
mon ami, puisque tu m'abordes sans ôter ton chapeau, sans observer rationem loci,
temporis et personae. Quoi? débuter d'abord par un discours mal digéré, au lieu
de dire: Salve, vel salvus sis, Doctor, Doctorum eruditissime! Hé! pour qui me
prends-tu, mon ami?
LE BARBOUILLÉ: Ma foi, excusez-moi: c'est que j'avais l'esprit en écharpe, et je ne
songeais pas à ce que je faisais; mais je sais bien que vous êtes galant homme.
LE DOCTEUR: Sais-tu bien d'où vient le mot de galant homme?
LE BARBOUILLÉ: Qu'il vienne de Villejuif ou d'Aubervilliers, je ne m'en soucie guère.
LE DOCTEUR: Sache que le mot de galant homme vient d'élégant; prenant le g et l'a de
la dernière syllabe, cela fait ga, et puis prenant, ajoutant un a et les deux
dernières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme.
Mais encore pour qui me prends-tu?
LE BARBOUILLÉ: Je vous prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l'affaire que je
vous veux proposer. Il faut que vous sachiez.
LE DOCTEUR: Sache auparavant que je ne suis pas seulement un docteur, mais que je suis une,
deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur:
1° Parce que, comme l'unité est la base, le fondement, et le premier de tous
les nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte
des doctes.
2° Parce qu'il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connaissance de
toutes choses: le sens et l'entendement; et comme je suis tout sens et tout
entendement, je suis deux fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: D'accord. C'est que.
LE DOCTEUR: 3° Parce que le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aristote;
et comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sont aussi, je suis trois
fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: Hé bien! Monsieur le Docteur.
LE DOCTEUR: 4° Parce que la philosophie a quatre parties: la logique, morale, physique
et métaphysique; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaitement
versé en icelles, je suis quatre fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: Que diable! je n'en doute pas. Écoutez-moi donc.
LE DOCTEUR: 5° Parce qu'il y a cinq universelles: le genre, l'espèce, la différence,
le propre et l'accident, sans la connaissance desquels il est impossible de faire
aucun bon raisonnement; et comme je m'en sers avec avantage, et que j'en connais
l'utilité, je suis cinq fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: Il faut que j'aie bonne patience.
LE DOCTEUR: 6° Parce que le nombre de six est le nombre du travail; et comme je travaille
incessamment pour ma gloire, je suis six fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: Ho! Parle tant que tu voudras.
LE DOCTEUR: 7° Parce que le nombre de sept est le nombre de la félicité; et comme je
possède une parfaite connaissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que
je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même:
O ter quatuorque beatum!
8° Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice, à cause de l'égalité
qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec laquelle je
mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docteur.
9° parce qu'il y a neuf muses, et que je suis également chéri d'elles.
10° parce que, comme on ne peut passer le nombre de dix sans faire une répétition
des autres nombres, et qu'il est le nombre universel, aussi, aussi, quand on m'a
trouvé, on a trouvé le docteur universel: je contiens en moi tous les autres
docteurs.
Ainsi tu vois par des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que
je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur.
LE BARBOUILLÉ: Que diable est ceci? je croyais trouver un homme bien savant, qui me
donnerait un bon conseil, et je trouve un ramoneur de cheminée qui, au lieu de me
parler, s'amuse à jouer à la mourre. Un, deux, trois, quatre, ha, ha, ha! - Oh bien!
ce n'est pas cela: c'est que je vous prie de m'écouter, et croyez que je ne suis pas
un homme à vous faire perdre vos peines, et que si vous me satisfaisiez sur ce que
je veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez; de l'argent, si vous en voulez.
LE DOCTEUR: Hé! de l'argent.
LE BARBOUILLÉ: Oui, de l'argent, et toute autre chose que vous pourriez demander.
LE DOCTEUR, troussant sa robe derrière son cul: Tu me prends donc pour un homme à qui
l'argent fait tout faire, pour un homme attaché à l'intérêt, pour une âme
mercenaire? Sache, mon ami, que quand tu me donnerais une bourse pleine de pistoles,
et que cette bourse serait dans une riche boîte, cette boîte dans un étui précieux,
cet étui dans un coffret admirable, ce coffret dans un cabinet curieux, ce cabinet
dans une chambre magnifique, cette chambre dans un appartement agréable, cet
appartement dans un château pompeux, ce château dans une citadelle incomparable,
cette citadelle dans une ville célèbre, cette ville dans une île fertile, cette île
dans une province opulente, cette province dans une monarchie florissante, cette
monarchie dans tout le monde; et que tu me donnerais le monde où serait cette
monarchie florissante, où serait cette province opulente, où serait cette île fertile,
où serait cette ville célèbre, où serait cette citadelle incomparable, où serait ce
château pompeux, où serait cet appartement agréable, où serait cette chambre
magnifique, où serait ce cabinet curieux, où serait ce coffret admirable, où serait
cet étui précieux, où serait cette riche boîte dans laquelle serait enfermée la bourse
pleine de pistoles, que je me soucierais aussi peu de ton argent et de toi que decela.
LE BARBOUILLÉ: Ma foi, je m'y suis mépris: à cause qu'il est vêtu comme un médecin, j'ai cru
qu'il lui fallait parler d'argent; mais puisqu'il n'en veut point, il n'y a rien de
plus aisé que de le contenter. Je m'en vais courir après lui.
Scène III
ANGÉLIQUE, VALÈRE, CATHAU.
ANGÉLIQUE: Monsieur, je vous assure que vous m'obligez beaucoup de me tenir quelquefois
compagnie: mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m'est un
supplice d'être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on peut
avoir d'un rustre comme lui.
VALÈRE: Mademoiselle, vous me faites trop d'honneur de me vouloir souffrir, et je vous
promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement; et que, puisque
vous témoignez que ma compagnie ne vous est point désagréable, je vous ferai
connaître combien j'ai de joie de la bonne nouvelle que vous m'apprenez,
par mes empressements.
CATHAU: Ah! changez de discours: voyez porte-guignon qui arrive.
Scène IV
LE BARBOUILLÉ, VALÈRE, ANGÉLIQUE, CATHAU.
VALÈRE: Mademoiselle, je suis au désespoir de vous apporter de si méchantes nouvelles;
mais aussi bien les auriez-vous apprises de quelque autre: et puisque votre frère
est fort malade.
ANGÉLIQUE: Monsieur, ne m'en dites pas davantage; je suis votre servante, et vous rends
grâces de la peine que vous avez prise.
LE BARBOUILLÉ: Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage.
Ha! ha! Madame la carogne, je vous trouve avec un homme, après toutes les défenses
que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne!
ANGÉLIQUE: Hé bien! faut-il gronder pour cela? Ce Monsieur vient de m'apprendre que
mon frère est bien malade: où est le sujet de querelles?
CATHAU: Ah! le voilà venu: je m'étonnais bien si nous aurions longtemps du repos.
LE BARBOUILLÉ: Vous vous gâteriez, par ma foi, toutes deux, Mesdames les carognes;
et toi, Cathau, tu corromps ma femme: depuis que tu la sers, elle ne vaut
pas la moitié de ce qu'elle valait.
CATHAU: Vraiment oui, vous nous la baillez bonne.
ANGÉLIQUE: Laisse là cet ivrogne; ne vois-tu pas qu'il est si soûl qu'il ne sait
ce qu'il dit?
Scène première
SGANARELLE, GÉRONIMO.
SGANARELLE: Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que
tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne quérir
vite chez le seigneur GÉRONIMO; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise que
je suis sorti et que je ne dois revenir de toute la journée.
GÉRONIMO: Voilà un ordre fort prudent.
SGANARELLE: Ah! Seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et j'allais chez vous
vous chercher.
GÉRONIMO: Et pour quel sujet, s'il vous plaît?
SGANARELLE: Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en
dire votre avis.
GÉRONIMO: Très volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler
ici en toute liberté.
SGANARELLE: Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence,
que l'on m'a proposée; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.
GÉRONIMO: Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce
que c'est.
SGANARELLE: Mais auparavant je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire
nettement votre pensée.
GÉRONIMO: Je le ferai, puisque vous le voulez.
SGANARELLE: Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas
franchement.
GÉRONIMO: Vous avez raison.
SGANARELLE: Et dans ce siècle on trouve peu d'amis sincères.
GÉRONIMO: Cela est vrai.
SGANARELLE: Promettez-moi donc, Seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte
de franchise.
GÉRONIMO: Je vous le promets.
SGANARELLE: Jurez-en votre foi.
GÉRONIMO: Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire.
SGANARELLE: C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.
GÉRONIMO: Qui, vous?
SGANARELLE: Oui. Moi-même en propre personne. Quel est votre avis là-dessus?
GÉRONIMO: Je vous prie auparavant de me dire une chose.
SGANARELLE: Et quoi?
GÉRONIMO: Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant?
SGANARELLE: Moi?
GÉRONIMO: Oui.
SGANARELLE: Ma foi, je ne sais; mais je me porte bien.
GÉRONIMO: Quoi? Vous ne savez pas à peu près votre âge?
SGANARELLE: Non: est-ce qu'on songe à cela?
GÉRONIMO: Hé! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviez-vous d'années lorsque
nous fîmes connaissance?
SGANARELLE: Ma foi, je n'avais que vingt ans alors.
GÉRONIMO: Combien fûmes-nous ensemble à Rome?
SGANARELLE: Huit ans.
GÉRONIMO: Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?
SGANARELLE: Sept ans.
GÉRONIMO: Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?
SGANARELLE: Cinq ans et demi.
GÉRONIMO: Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici?
SGANARELLE: Je revins en cinquante-deux.
GÉRONIMO: De cinquante-deux à soixante-quatre, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans
en Hollande, font dix-sept; sept ans en Angleterre, font vingt-quatre; huit dans
notre séjour à Rome, font trente-deux; et vingt que vous aviez lorsque nous nous
connûmes, cela fait justement cinquante-deux: si bien, Seigneur Sganarelle, que,
sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou
cinquante-troisième année.
SGANARELLE: Qui, moi? Cela ne se peut pa.
GÉRONIMO: Mon Dieu, le calcul est juste; et là-dessus je vous dirai franchement et en ami,
comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre
fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement
avant que de la faire; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout;
et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier,
je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison
où nous devons être plus sages. Enfin je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous
conseille point de songer au mariage; et je vous trouverais le plus ridicule du monde,
si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant
de la plus pesante des chaînes.
SGANARELLE: Et moi je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point
ridicule en épousant la fille que je recherche.
GÉRONIMO: Ah! c'est une autre chose: vous ne m'aviez pas dit cela.
SGANARELLE: C'est une fille qui me plaît, et que j'aime de tout mon cœur.
GÉRONIMO: Vous l'aimez de tout votre cœur?
SGANARELLE: Sans doute, et je l'ai demandée à son père.
GÉRONIMO: Vous l'avez demandée?
SGANARELLE: Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir, et j'ai donné parole.
GÉRONIMO: Oh! mariez-vous donc: je ne dis plus mot.
SGANARELLE: Je quitterais le dessein que j'ai fait? Vous semble-t-il, Seigneur Géronimo,
que je ne sois plus propre à songer à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis
avoir; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paraisse
plus frais et plus vigoureux que vous me voyez? N'ai-je pas tous les mouvements de mon
corps aussi bons que jamais, et voit-on que j'aie besoin de carrosse ou de chaise pour
cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents, les meilleures du monde? Ne fais-je pas
vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac qui ait plus de
force que le mien? Hem, hem, hem: eh! Qu'en dites-vous?
GÉRONIMO: Vous avez raison; je m'étais trompé: vous ferez bien de vous marier.
SGANARELLE: J'y ai répugné autrefois; mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela.
Outre la joie que j'aurai de posséder une belle femme, qui me fera mille caresses,
qui me dorlotera et me viendra frotter lorsque je serai las, outre cette joie, dis-je,
je considère qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le monde la race des
Sganarelles, et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-mêmes,
que j'aurai le plaisir de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites
figures qui me ressembleront comme deux gouttes d'eau, qui se joueront continuellement
dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville, et me
diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y
suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi.
GÉRONIMO: Il n'y a rien de plus agréable que cela; et je vous conseille de vous marier
le plus vite que vous pourrez.
SGANARELLE: Tout de bon, vous me le conseillez?
GÉRONIMO: Assurément. Vous ne sauriez mieux faire.
SGANARELLE: Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable ami.
GÉRONIMO: Hé! quelle est la personne, s'il vous plaît, avec qui vous vous allez marier?
SGANARELLE: Dorimène.
GÉRONIMO: Cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée?
SGANARELLE: Oui.
GÉRONIMO: Fille du seigneur Alcantor?
SGANARELLE: Justement.
GÉRONIMO: Et sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter l'épée?
SGANARELLE: C'est cela.
GÉRONIMO: Vertu de ma vie!
SGANARELLE: Qu'en dites-vous?
GÉRONIMO: Bon parti! Mariez-vous promptement.
SGANARELLE: N'ai-je pas raison d'avoir fait ce choix?
GÉRONIMO: Sans doute. Ah! que vous serez bien marié! Dépêchez-vous de l'être.
SGANARELLE: Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil,
et je vous invite ce soir à mes noces.
GÉRONIMO: Je n'y manquerai pas, et je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer.
SGANARELLE: Serviteur.
GÉRONIMO: La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec le seigneur Sganarelle,
qui n'a que cinquante-trois ans: Ô le beau mariage! Ô le beau mariage!
Ce qu'il répète plusieurs fois en s'en allant.
SGANARELLE: Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde,
et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content
des hommes.
Scène II
DORIMÈNE, SGANARELLE.
DORIMÈNE: Allons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue, et qu'on ne s'amuse
pas à badiner.
SGANARELLE: Voici ma maîtresse qui vient. Ah! qu'elle est agréable! Quel air! et
quelle taille! Peut-il y avoir un homme qui n'ait en la voyant des démangeaisons
de se marier? Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur?
DORIMÈNE: Je vais faire quelques emplettes.
SGANARELLE: Hé bien, ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et
l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser; et je pourrai faire avec
vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être
à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout: de vos petits
yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos
oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de vos petits tétons rondelets,
de votre.; enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même
pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage,
mon aimable pouponne?
DORIMÈNE: Tout à fait aise, je vous jure; car enfin la sévérité de mon père m'a tenue
jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien
que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me
mariât, pour sortir promptement de la contrainte où j'étais avec lui, et me voir en
état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela,
et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut
le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez
comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble,
et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent
comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderais pas de cela, et que
la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et
les promenades, en un mot, toutes les choses de plaisir, et vous devez être ravi
d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble, et je ne
vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne
me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une
complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un
l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde.
Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle; et c'est assez que vous serez
ssuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous?
Je vous vois tout changé de visage.
SGANARELLE: Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.
DORIMÈNE: C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage vous
dissipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que je n'aie des habits raisonnables,
pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes
les choses qu'il me faut, et je vous envoierai les marchands.
Scène III
GÉRONIMO, SGANARELLE.
GÉRONIMO: Ah! Seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici; et j'ai
rencontré un orfèvre, qui, sur le bruit que vous cherchez quelque beau diamant
en bague pour faire un présent à votre épouse, m'a fort prié de vous venir parler
pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.
SGANARELLE: Mon Dieu! cela n'est pas pressé.
GÉRONIMO: Comment? que veut dire cela? Où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure?
SGANARELLE: Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant
que de passer plus avant, je voudrais bien agiter à fond cette matière, et que l'on
m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vient tout à l'heure de me
revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs, où l'on
découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me semblait que j'étais dans
un vaisseau, sur une mer bien agitée, et que.
GÉRONIMO: Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de
vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux songes; et quant au raisonnement du mariage,
vous avez deux savants, deux philosophes vos voisins, qui sont gens à vous débiter
tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, vous
pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce
que je vous ai dit tantôt, et demeure votre serviteur.
SGANARELLE: Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces gens-là sur l'incertitude où je suis.